Les irrésistibles muses des grands noms de la musique
Chapitre 3 : Nico l’Icon des 60’s
Chanteuse, mannequin, actrice, tantôt muse et tantôt artiste, Nico est l’incarnation de la beauté froide aux mille facettes. Après un début de vie des plus sinistres, elle prendra sa revanche en fréquentant les plus grands noms des années soixante et soixante-dix. Place à la muse au regard métallique et à la voix grave.
À sa naissance, la future chanteuse ne porte bien évidemment pas le prénom de Nico. Elle est née Christa Päffgen en octobre 1938, en Allemagne. Elle est l’enfant d’une Allemande aux origines polonaises et d’un riche bourgeois déjà marié ailleurs. Ce dernier a tout de même le mérite de reconnaître sa fille. Cependant, les premières années de sa vie sont bien sombres : sa mère se voit contrainte de fuir les bombardements de Berlin en 1943 avec ses deux filles. La suite ne serait pas plus joyeuse : à l’âge de quinze ans, Christa est violée par un sergent de l’US Air Force. Face à ce début de vie sordide, elle en donnera par la suite plusieurs versions, en s’inventant hongroise, fille d’une Russe et d’un Turc.
Pour fuir son traumatisme et s’extraire de sa condition, Christa Päffgen tente sa chance à Berlin en tant que mannequin l’année suivante. C’est là qu’elle rencontre Herbert Tobias, un photographe qui repère immédiatement le potentiel de la jeune fille. Il lui conseille de changer de nom pour quelque chose de plus accrocheur que son nom germanique. Se souvenant d’un amant qu’elle a connu à Paris, Nico Papatakis, elle décide de lui rendre hommage en choisissant son prénom pour pseudonyme. Elle sera désormais connue sous le nom de Nico.
Elle s’installe à Paris quelque temps plus tard, au milieu des années cinquante. Là, elle connait un certain succès et enchaîne les couvertures : Vogue, Elle, le Jardin des Modes… Elle travaille même avec Jeanloup Sieff et Coco Chanel.
Il faut dire que son apparence détonne parmi les pin-up de son temps : svelte, elle mesure près d’un mètre quatre-vingt, ses cheveux blonds sont taillés à la garçonne et elle possède des yeux bleu clair immenses, une bouche charnue et un visage ciselé. Avec un physique aussi photogénique, elle est rapidement repérée pour faire du cinéma.
En 1958, elle fait ses premiers pas à l’écran (La Tempête d’Alberto Lattuada ; For the First Time de Rudolph Maté). Elle se fait remarquer par Frederico Fellini sur le tournage du film La Dolce Vita. Fasciné, le réalisateur lui propose de jouer son propre rôle dans le film.
En 1962, elle convainc Jacques Poitrenaud et décroche le premier rôle du film Strip-Tease. Dans la foulée, elle enregistre la chanson éponyme, écrite par Serge Gainsbourg. Elle met ainsi un pas dans le monde de la chanson.
La même année, elle rencontre la star française Alain Delon. Sensible au charme de la belle allemande, ils passent une nuit ensemble. Seulement voilà : neuf mois plus tard, un fils nait. L’acteur ne le reconnaîtra jamais et le petit Ari sera élevé par sa grand-mère paternelle. Nico, quant à elle, continue sa route.
1964 marque de nouvelles rencontres décisives pour Nico. Elle devient la protégée de Brian Jones, leader des Rolling Stones. Il lui produit son premier single I’m Not Sayin. À l’été, c’est Bob Dylan qui fait sa connaissance. Encore une fois, un artiste de génie tombe sous son charme et s’inspire d’elle pour écrire la chanson I’ll Keep It With Mine. Enfin, sans doute la rencontre la plus déterminante de son existence est celle avec Andy Warhol. Elle devient l’une des muses principales de l’artiste qui la photographie, lui fait jouer dans ses films (Chelsea Girls, Sunset) mais surtout l’impose au Velvet Underground, le groupe qu’il produit.
Un album nait de cette collaboration en 1967 : The Velvet Underground & Nico, qui devient un monument musical, précurseur du rock. Lou Reed, alors leader du groupe, s’éprend de Nico et lui écrit trois titres qui figureront dans le disque : Femme Fatale, All tomorrow’s parties et I’ll be your mirror. La chanteuse surprend par sa voix grave, chaude, envoutante. À tel point qu’un autre membre du Velvet, John Cale, tombe amoureux d’elle. Décidément, Nico ne laisse personne indifférent.
Mais Nico s’en va rapidement du Velvet Underground, lassée de Lou Reed qui cherche à garder toute la gloire pour lui. Mais pas question d’arrêter la musique. Elle veut se faire connaître pour elle, et non plus au travers des hommes qu’elle fréquente. À la fin de l’année 1967, le disque Chelsea Girl voit le jour. Son nom, bien sûr, est un hommage au film d’Andy Warhol où elle jouait le rôle vedette quelques années plus tôt.
En 1969, elle entame une aventure avec l’un des plus grands poètes de son temps : le génial Jim Morrison, alors à la tête des Doors. Nico vit cette relation comme une fusion, Jim est pour elle son âme sœur. Il la révèle à elle-même, l’encourage à écrire et à composer ses propres chansons. Il fait de son nom une anagramme et deviendra Icon pour lui. Guidée par le Roi Lézard, et sous l’influence de nombreuses drogues qui font depuis longtemps partie de son quotidien, Nico ne fait que « créer pour exister », maxime devenue sa devise. Elle s’approprie l’harmonium, qui semble entrer en écho avec l’orgue des instrumentales des Doors. Elle rompt ainsi avec le rock traditionnel.
Dans l’album qui naît de cette révélation, The Marble Index, Nico rendra hommage à Morrison dans Julius Caesar. Elle n’oublie pas non plus son fils, qui aura le droit également à sa propre chanson, intitulée sobrement Ari’s Song.
Mais le grand amour de Jim reste Pamela Courson, et il finit toujours par lui revenir. Nico s’en remet grâce à l’héroïne et au réalisateur Philippe Garrel qui partage désormais sa vie. Elle se donne à fond dans la création et sort deux albums entre 1970 et 1974 : Desertshore et The End…, tous deux produits par le fidèle John Cale. Les deux disques sont très bien reçus. Desertshore sonne comme l’apogée du talent de Nico. Elle s’engage encore plus dans cet univers ésotérique et sombre, relevé par l’harmonium, qui fait l’ADN de ses chansons.
Le disque The End… est plus intime. Outre de contenir Secret Side, morceau dans lequel elle se livre sur la blessure de son viol, l’album représente un hommage global à Jim Morrison, décédé trois ans plus tôt. Elle y reprend The End, l’un des plus gros succès des Doors, mais aussi la chanson You Forget to Answer, ode mélancolique au dernier coup de fil passé à Morrison auquel il ne décrochera jamais.
Son nouveau compagnon la fait jouer dans bon nombre de ses films où elle a souvent le premier rôle (La Cicatrice intérieure, Le Berceau de cristal). La voilà de nouveau muse d’un grand artiste. Au bout de dix ans, leur relation prend fin et Nico part à Ibiza avec le poète John Cooper Clarke (auteur du poème I Wanna Be Yours, adaptée en chanson en 2013 par les Arctic Monkeys).
Elle sort un nouvel album, Drama of Exile, en 1981. Le disque rompt avec ses travaux précédents en s’inspirant de sonorités plus orientales. Le suivant, Camera Obscura (1985) sera encore plus expérimental. Les deux albums ne connaitront pas un succès retentissant.
Nous sommes à la fin des années quatre-vingt. Nico à près de cinquante ans et est toujours accro à la drogue. Son fils Ari y a aussi plongé très jeune. Pour cet enfant qui a grandi sans père et avec une mère peu présente, mais qu’il adule, la drogue est un moyen de les réunir. Ils partageront la même seringue jusqu’en 1988. L’été de cette année, elle chute de sa bicyclette. Transférée à l’hôpital, elle y meurt le 18 juillet d’une hémorragie cérébrale, presque trois semaines après l’anniversaire de la mort de Jim Morrison. Elle est inhumée près de sa mère, à Berlin.
Nico a marqué les esprits autour d’elle. Marianne Faithfull, Philippe Garrel, John Cale, et même son fils Ari, nombreux sont à lui rendre hommage encore aujourd’hui. La mystérieuse Nico reste pour nous une énigme fascinante à la personnalité insaisissable.