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Football et rock’n’roll, histoire d’une relation – Épisode 1 – D’une culture populaire à une autre

écrit par Maxime Rouby le mercredi 6 décembre 2023

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Football et rock’n’roll, histoire d’une relation – Épisode 1 – D’une culture populaire à une autre


Au panthéon des cultures représentatives de notre société, football et rock’n’roll occupent assurément une place de choix, réunissant des millions de passionnés depuis le siècle dernier. En touchant autant d’individus, les deux devaient finalement trouver une audience commune. Et tant pis si la photographie moderne peine quelque peu à mettre en valeur leur connexion. Histoire d’une relation culturelle ardente, à travers un prisme social omniprésent, témoin des évolutions sociétales du XXe siècle. Premier épisode avec l’étude de leurs valeurs, issues de cultures populaires.


Football et rock’n’roll, histoire d’une relation – Épisode 1 – D’une culture populaire à une autre

George Best, le « cinquième Beatle », icône du football et personnalité truculente – Crédits : Insolite-Foot.fr
 

Utiliser dans la même phrase les termes football et rock’n’roll a aujourd’hui quelque chose de saugrenu. En surface, l’anachronisme est en partie dû à l’image que renvoient les footballeurs et aux éléments culturels qu’ils véhiculent : rap, boîtes de nuit, mode et haute couture… Tout ou presque indiquerait une opposition totale avec les codes originels du rock. En profondeur, les liens entre les deux sont pourtant beaucoup plus évidents.

 

L’héritage de la culture populaire

 

Populaire. Le mot est évocateur. D’un côté, l’on peut parler de concepts populaires car célébrés, qui remportent l’adhésion du peuple. De l’autre, le terme se rapporte aux classes sociales les plus modestes, au prolétariat. Un seul mot, qui résume à la fois le rayonnement et les origines du football comme du rock’n’roll.

Étudier l’histoire du football, c’est se rendre compte de son ADN violent, hérité de la soule médiévale ou du calcio storico fiorentino, deux jeux ancestraux. Deux disciplines, aussi, pratiquées avant tout par les plus modestes, ceux n’hésitant pas à se salir, à se rouler dans la boue. Si l’effort du sportif lui permet parfois d’accéder à une certaine notoriété, cette dernière n’est pour autant pas un gage d’intégration aux hautes sphères de la société. La célébrité serait-elle un mirage ? Probablement. Souvent. Nombreux sont ceux s’étant brûlé les ailes face à un certain mépris de classe, l’élévation sociale atteignant son plafond de verre avec la notion barbare d’assimilation.

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Le calcio storico fiorentino, l’un des ancêtres médiévaux du football – Crédits : Ville de Florence
 

Le foot, c’est avant tout une affaire de durs au mal, loin des cols blancs. Le poncif éculé du sport de gentlemen pratiqué par des voyous perdure encore aujourd’hui, en opposition avec le rugby, plein de belles valeurs. Soit.

S’extirper de sa condition sociale modeste, accéder à une célébrité soudaine et devenir un digne représentant d’une communauté, autant de concepts que l’on peut également associer au rock’n’roll, même s’ils ne lui sont pas propres. Ne dit-on pas d’une vedette adulée qu’elle est une « rock star » ?
 

Contre-pouvoir et lutte des classes


Football et rock’n’roll ont ceci en commun qu’ils sont nés proches du peuple. Et ramener des individus à leur origine et condition sociales, c’est presque invariablement parler de lutte des classes. En ce sens, les deux disciplines se posent comme ambassadrices des classes les plus populaires, mais aussi en tant que contre-pouvoirs.

L’un des exemples les plus emblématiques reste le mouvement de la Démocratie corinthiane, affilié au club éponyme. Réponse à la dictature brésilienne en 1981, cette idéologie basée sur l’autogestion et le collectivisme devint un symbole de lutte contre un football utilisé à des fins de propagande par le régime. À sa tête, l’icône Sócrates, accompagnée notamment de Walter Casagrande, fan de rock entre autres délices.

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Le « Docteur » Sócrates, leader de la Démocratie corinthiane et frère du non moins célèbre Raí – Crédits : US Cluny Football
 

Cette doctrine trouve un écho particulier avec le mythe du Working Class Hero chanté par John Lennon. Paradoxalement, si la lutte des classes est (d’un côté) un combat politique contre le pouvoir institutionnel et la répression, l’un des effets pernicieux dudit pouvoir réside dans sa volonté de transformer la classe ouvrière en classe moyenne afin d’atténuer ses revendications, éteindre son esprit critique et aseptiser ses comportements. Voilà les rouages du système. Un état des lieux sinistre dépeint par Pink Floyd dans Welcome to the Machine, dont les paroles pourraient aisément décrire l’emprise financière de l’industrie du football sur le sport en lui-même, mais aussi, de manière plus transparente encore, celle de son pendant musical sur la discipline artistique.

Car rock’n’roll et ballon rond ont subi de plein fouet les effets d’une industrialisation fulgurante. D’un côté, les maisons de disques, les managers et les radios, ramifications d’une locomotive aux antipodes des principes fondateurs d’un genre profondément antisystème. De l’autre, la toute puissante FIFA, organe décisionnaire contrôlant l’ensemble du sport le plus illustre dans le monde.
 

S’émanciper pour mieux contester

 

Faire office de contre-pouvoir, c’est avant tout s’émanciper de l’autorité en place. La musique, et a fortiori le rock’n’roll, s’impose comme centre d’intérêt majeur dans la seconde moitié du XXe siècle. Héritant ses attributs du blues, de la country ou du gospel et tirant progressivement vers d’autres formes plus transgressives comme le punk, le rock est un vecteur majeur d’émancipation sociale.

Mais le rock’n’roll n’est pas seulement une musique. C’est une idéologie, un style de vie à part entière. Dans les années 1960, le Royaume-Uni mène de front une révolution culturelle, le Swinging Sixties ou Swinging London. Par un merveilleux hasard, c’est en 1966 que l’équipe d’Angleterre décroche le Graal en remportant la Coupe du monde à domicile. L’establishment, forcément très vindicatif à l’endroit d’une jeunesse débridée, adoube pourtant cette équipe grâce à des joueurs comme les frères Charlton, Geoff Hurst, Gordon Banks ou Bobby Moore. Malgré les clivages sociaux, ce point d’orgue est depuis la fierté de toute une nation. Quoi de plus normal pour le pays qui a inventé le football moderne ?

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Capitaine de l’Angleterre, Bobby Moore soulève le trophée Jules Rimet après la victoire de sa sélection en finale de la Coupe du monde 1966 (victoire 4-2 sur la RFA) – Crédits : Sky Sports
 

Preuve en est, Three Lions, chanson de David Baddiel, Frank Skinner et The Lightning Seeds sortie pour le Championnat d’Europe 1996, lui aussi organisé sur le sol anglais. Avec son refrain, « It’s coming home » en forme de slogan, elle est très vite récupérée par les supporters locaux. Le tournoi est donc à la maison. Et la maison, le lieu où l’on fait ce que l’on veut. Le lieu, aussi, où l’on écoute ce que l’on aime. Le fait que football et rock soient deux éléments du quotidien pour les Anglais n’a rien d’un hasard. La ligne « No more years of hurt », révélatrice après des décennies de disette footballistique, peut être mise en parallèle avec les revendications de la classe ouvrière au cœur des années 1990, quelque part héritière de plusieurs sous-cultures britanniques des années 1960 comme les Mods, les modernists, pourtant en conflit idéologique latent avec les rockers.

Dans la culture populaire, un film illustre parfaitement le sentiment des nineties, rock’n’roll et football servant de décor : Trainspotting. L’histoire, d’abord racontée dans le livre éponyme de l’écrivain écossais Irvine Welsh, dépeint le quotidien destructeur d’une bande d’amis héroïnomanes dans l’Édimbourg des années 1990. Seringues, bières, sexe et délits parsèment la vie de Renton et ses acolytes. Outre les scènes montrant des parties de football et le maillot des Hibernians porté par Begbie (Robert Carlyle), au-delà de la magnifique banque originale, parsemée de pépites allant de Lou Reed à Pulp, en passant par New Order ou Iggy Pop, une scène dit tout de l’amour porté par les Britanniques au ballon rond. Dans celle-ci, juste après une partie de jambes en l’air avec Diane (Kelly Macdonald), Mark (Ewan McGregor) lui témoigne très prosaïquement son plaisir avec le vers suivant : « Christ, I haven't felt that good since Archie Gemmill scored against Holland in 1978. » Le foot, un orgasme à part entière ? Le but auquel Renton fait référence a lieu durant le match de l’Écosse contre les Pays-Bas, dans le groupe 4 à la Coupe du Monde 1978 en Argentine. Il permet aux Écossais de mener 3-1 face à l’un des ogres de la compétition, même amputé de sa superstar Johan Cruijff. Un morceau de bravoure finalement sans conséquence puisque les hommes d’Ally MacLeod devaient s’imposer par trois buts d’écart pour passer au tour suivant, Johnny Rep se chargeant d’enterrer les espoirs britanniques en réduisant le score à 3-2 seulement trois minutes plus tard.

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Sick Boy » (Jonny Lee Miller), « Rent Boy » (Ewan McGregor), « Tommy » (Kevin McKidd) et « Spud » (Ewen Bremner), protagonistes du culte Trainspotting (1996) – Crédits : TimeOut
 

La manière dont « Rent Boy » parle de ce but dit tout du sentiment désabusé d’une working class se raccrochant à des semi-exploits dans un pays qui, en 1997, un an après la sortie du film, répondra favorablement au référendum provoqué par Tony Blair proposant la décentralisation du pouvoir et actant la création du Parlement écossais. Une disposition loin d’être anodine eu égard à l’héritage syndical du parti travailliste du nouveau premier ministre britannique, antithèse du parti conservateur au pouvoir depuis près de vignt ans et l’avènement de Margaret Thatcher.

Le Royaume-Uni, épicentre de la déflagration rock
 

Le rock’n’roll trouvant ses origines dans les classes populaires, ses fidèles seraient-ils des individus ordinaires (comprendre, ici, la majorité, le grand public) ? Assurément, tout du moins en ce qui concerne leur identité en tant que citoyens. Voilà pourquoi même les plus grandes stars du Royaume ont une équipe de cœur, comme tout le monde ou presque.

Pêle-mêle, Robert Plant avec Wolverhampton, Elton John et Watford (dont il fut le propriétaire, en plus d’avoir investi dans les éphémères Aztecs de Los Angeles), Ray Davies, Johnny Rotten, Roger Waters et Roger Daltrey avec Arsenal, Ian Curtis, les frères Gallagher et Johnny Marr pour Manchester City (le dernier cité y a même fait des essais dans les équipes de jeunes), Morrissey, The Stone Roses, Richard Ashcroft et Bernard Sumner pour le rival de United. Citons aussi Pete Doherty, Ian Gillian, Mick Jones, Robert Smith, Alan Wilder et Glen Matlock pour les Queens Park Rangers, Damon Albarn et Steve Jones avec Chelsea, Alex Turner et Sheffield Wednesday, Ronnie Wood et Eric Clapton pour West Bromwich Albion, Sting et Mark Knopfler avec Newcastle, Kasabian avec Leicester, et même le Gallois Kelly Jones pour Leeds.

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Robert Plant (debout, au centre), supporter iconique du Wolverhampton Wanderers F.C., rend visite à son équipe de cœur à la veille de la finale de la League Cup 1980, remportée par les Wolves 1-0 face à Nottingham Forest – Crédits : The Vintage Football Club
 

Autant de personnalités hautes en couleurs ayant largement participé à la grande histoire du rock. Leur pendant sportif n’est pas moins savoureux. De Paul Gascoigne à Roy Keane, en passant par Éric Cantona, Ronaldinho, Maradona, Adriano, Denis Law ou George Best, le cinquième Beatle, les figures anticonformistes ne manquent pas. Sans oublier les Liverpuldiens Robbie Fowler, Ian Rush, Kenny Dalglish et Kevin Keegan. Et pour les célébrer, quoi de mieux que de chanter à leur gloire ? En empruntant au répertoire rock’n’roll ? Parfois, souvent même. Une manière pour les supporters d’ancrer leur passion dans leur quotidien.

Maxime Rouby
écrit le mercredi 6 décembre 2023 par

Maxime Rouby

Rédacteur pour Janis, nouveau média 100% musique lancé par LiveTonight

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mis à jour le mercredi 6 décembre 2023

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