Series

Football et rock’n’roll, histoire d’une relation – Épisode 2 – De l’importance des chants de supporters

écrit par Maxime Rouby le jeudi 7 décembre 2023

Janis > Series > Football et rock’n’roll, histoire d’une relation – Épisode 2 – De l’importance des chants de supporters >

Football et rock’n’roll, histoire d’une relation – Épisode 2 – De l’importance des chants de supporters


Au panthéon des cultures représentatives de notre société, football et rock’n’roll occupent assurément une place de choix, réunissant des millions de passionnés depuis le siècle dernier. En touchant autant d’individus, les deux devaient finalement trouver une audience commune. Et tant pis si la photographie moderne peine quelque peu à mettre en valeur leur connexion. Histoire d’une relation culturelle ardente, à travers un prisme social omniprésent, témoin des évolutions sociétales du XXe siècle. Suite de notre série, avec un focus sur les chants de supporters, forts marqueurs identitaires depuis la création du « Beautiful Game ».


 Football et rock’n’roll, histoire d’une relation – Épisode 2 – De l’importance des chants de supporters

Les Holmesdale Fanatics du Crystal Palace F.C., l’un des rares groupes d’ultras en Angleterre – Crédits : Getty Images

 
Nous l’avons vu, les artistes peuvent, comme le reste de la population donc, être attachés à une équipe, un club et ses valeurs. Et le football le rend bien à la musique. Le meilleur exemple réside aujourd’hui encore dans les chants de supporters, mélange d’appropriation et d’intérêt sincère.
 

Liverpool, Broadway et The Beatles

 

Prenons The Beatles. Si le groupe n’a jamais revendiqué explicitement une quelconque proximité avec le Liverpool F.C. ou le Everton F.C. en raison de la recommandation de Brian Epstein de ne pas se mettre à dos une partie de leur public, certains supporters n’hésitent en revanche pas à afficher fièrement leur passion pour les « Fab Four ». Pour preuve, l’iconique She Loves You, reprise par les fans des Reds à de multiples reprises.

Quoi de plus normal pour une ville qui fut à l’époque le point de départ de la plus grande déflagration musicale ? Impossible aujourd’hui d’associer Liverpool, football et musique sans parler de You’ll Never Walk Alone, tube intemporel ayant largement dépassé le cadre de la perfide Albion (le Celtic Glasgow, le Borussia Dortmund, le F.C. Tokyo, le F.C. Sankt Pauli et le Red Star de Saint-Ouen-sur-Seine l’ont également adopté). Cette chanson, écrite par Richard Rodgers et Oscar Hammerstein, réconforte à l’origine le personnage de Julie Jordan dans la comédie musicale de Broadway Carousel en 1945. Chantée initialement par Christine Johnson, elle est très populaire à sa sortie, dans la mesure où les auditeurs se retrouvent dans un hymne fédérateur, beaucoup ayant un proche parti combattre dans le Pacifique sud ou en Europe pendant la Seconde guerre mondiale. Preuve de son succès, de nombreux artistes aussi prestigieux que Nina Simone, Ray Charles, Elvis Presley, ou Aretha Franklin la reprendront, même si les Scousers retiendront celle de Gerry and the Pacemakers en 1963, qui atteindra la première place dans les charts. Autre clin d’œil musical et non des moindres, les Londoniens de Pink Floyd l’incluent au début et à la fin de Fearless en 1971.

 Football et rock’n’roll, histoire d’une relation – Épisode 2 – De l’importance des chants de supporters
Légende : Le « Kop » des Reds de Liverpool, récurrent point de départ du You’ll Never Walk Alone – Crédits : Eurosport

 
Manchester City, avant les Gallagher


Autre club, autre histoire, avec Manchester City. Blue Moon, chanson écrite par Richard Rodgers et Lorenz Hart en 1933 pour le compte de la Metro-Goldwyn-Mayer, fait office d’hymne local. Composée pour le film Hollywood Party sous le titre Prayer (Oh Lord, make me a movie star), elle s’impose dans les travées de Maine Road, puis du City of Manchester Stadium.

Non retenue pour le film auquel elle était destinée, mais finalement enregistrée pour Blues in the Night de 1934, puis réécrite pour Manhattan Melodrama, Blue Moon fera progressivement son entrée dans le répertoire rock grâce aux versions successives de Billy Eckstine, Mel Tormé, Billie Holiday, Frank Sinatra, Louis Armstrong, Django Reinhardt, Dizzy Gillespie, Sam Cooke, Dean Martin, The Supremes, Bob Dylan, Rod Stewart et surtout Elvis Presley. Bien plus tard, Liam Gallagher himself signera une version. Le titre fait référence à l’expression anglaise « Once in a blue moon », qui peut se traduire par « très rarement », comme la lune bleue, ou seconde lune pleine du mois à laquelle elle se rapporte. D’abord chanté par les fans du Crewe Alexandra F.C., visiblement d’après l’ambiance maussade des années 1950, il est difficile de ne pas voir dans cet hymne, côté Cityzens, un clin d’œil plein d’autodérision à la rareté des titres des Sky Blues avant le renouveau des années 2010.

 Football et rock’n’roll, histoire d’une relation – Épisode 2 – De l’importance des chants de supporters
Sergio Agüero marque le but du titre de la saison 2011-2012 pour Manchester City dans le temps additionnel du dernier match de la saison contre les Queens Park Rangers, mettant fin à quarante-quatre ans sans « blue moon » – Crédits : Dan Rowley, Rex, Shutterstock
 

Londres, capitale composite


À Londres, ville aux multiples clubs, l’un des chants les plus emblématiques reste I’m Forever Blowing Bubbles, écrit en 1918, transformé en tube par le Ben Selvin’s Novelty Orchestra et désormais hymne du West Ham United F.C. Pour l’anecdote, c’est John Kellette qui compose le titre, avec des paroles écrites par James Kendis, James Brockman et Nat Vincent sous le pseudonyme collectif Jaan Kenbrovin pour la comédie musicale The Passing Show of 1918, qui permet au monde entier de découvrir un jeune Fred Astaire. La chanson, introduite par Helen Carrington, devient incontournable dans les pays anglo-saxons, au point de faire l’objet de nombreuses légendes urbaines, aucune n’étant vérifiée de source sûre. Si elle demeure l’un des hymnes les plus iconiques du football britannique, la chanson a été popularisée hors des frontières de l’Albion par le film Green Street Hooligans en 2005, Charlie Hunnam et Elijah Wood jouant le rôle de fans des Hammers.

 Football et rock’n’roll, histoire d’une relation – Épisode 2 – De l’importance des chants de supporters
Les fameuses bulles qui accompagnent les matchs de West Ham – Crédits : Getty Images

Toujours dans la capitale anglaise, le club de Chelsea s’est approprié Blue Is the Colour, chanson enregistrée par les joueurs eux-mêmes en 1972 à l’occasion de la finale de la League Cup… finalement perdue contre Stoke City F.C. Le titre a été écrit par Daniel Boone (connu aux États-Unis pour être le one-hit wonder derrière Beautiful Sunday) et Rod McQueen, avant de faire des émules et de parcourir les travées de Stamford Bridge donc, puis d’être repris par l’Ajax d’Amsterdam, par Antoine pour l’Olympique de Marseille, jusqu’à être adapté en suédois.
 

Un Royaume à l’imagination débordante

 

À l’est, les fans du Norwich City F.C. ont choisi On the Ball, City, chanson plus ancienne que le club lui-même, pourtant fondé en 1902. Sa création est attribuée à Albert T. Smith, qui deviendrait le président du club en 1905.

Tout à fait au nord du pays, un autre club emblématique, le Newcastle United F.C., s’est naturellement approprié Blaydon Races, en raison de son histoire. La chanson a été écrite en 1862 dans le dialecte local par Geordie Ridley, artiste du Tyneside (de la rivière Tyne, qui parcourt la contrée), et ayant donné son nom aux personnes originaires du nord-est de l’Angleterre. À l’origine, le chant sonnait le début de la course du même nom, de Newcastle upon Tyne à Blaydon et faisait déjà la fierté de toute une région. Les Geordies sont alors tout à fait légitimes pour le reprendre à St. James’ Park, l’antre des Magpies.

En parallèle, citons également What’s That Coming Over the Hill? détournée par les fans de Tottenham en hommage à Pascal Chimbonda, Just Can’t Get Enough par le Celtic F.C., Go West par les supporters du PSG, ou encore Sugar, Sugar reprise par les Scousers pour Roberto Firmino, Mohamed Salah et Sadio Mané. Dans un autre registre, plusieurs chansons célèbres sont devenues des hymnes de stade, à l’instar de We Will Rock You, We Are The Champions, le malheureux Seven Nation Army ou I Will Survive, indissociable en France de la victoire à la Coupe du Monde 1998.

 Football et rock’n’roll, histoire d’une relation – Épisode 2 – De l’importance des chants de supporters
Le parcours de l’équipe de France à la Coupe du monde 1998 à domicile, ici en finale face au Brésil, s’accompagne d’une ferveur populaire inédite, symbolisée par la reprise de I Will Survive par le Hermes House Band – Crédits : Radio France
 

Quelque part ailleurs…

 

À l’international, les exemples sont eux aussi légion. L’un des plus fameux est probablement celui de Three Little Birds, hymne officieux des supporters de l’AFC Ajax, plus connu sous le nom de l’Ajax d’Amsterdam. Écrite en 1977 par Bob Marley, lui-même grand fan de football, la chanson est depuis devenue un hymne international. Il existe en effet une forte connivence entre les valeurs du club et celles de la culture rastafari, même parmi les supporters, au point qu’Adidas, équipementier du club depuis 2000, a sorti un troisième maillot spécial pour la saison 2021-2022.

 Football et rock’n’roll, histoire d’une relation – Épisode 2 – De l’importance des chants de supportersFootball et rock’n’roll, histoire d’une relation – Épisode 2 – De l’importance des chants de supporters
Le maillot « third » de l’Ajax pour la saison 2021-2022, hommage à la culture rastafari chère à Bob Marley et aux supporters du club, avec l’insertion des « three little birds » sous le col, au dos – Crédits : Adidas
 

Si l’imagination sans limite des supporters est le terreau fertile de quelques pépites musicales, les joueurs sont en revanche plus habitués à jouer les symboles. Outre ceux de Chelsea, des stars internationales se sont prêtées en 2002 au jeu de l’hymne universel pour le projet Love United, afin de rassembler autour de la lutte contre le sida. Au programme, autour de Youssou N’Dour et… Pascal Obispo, des noms aussi prestigieux que ceux de Zinédine Zidane, Roberto Carlos, Sylvain Wiltord, Youri Djorkaeff, Luis Figo, Thierry Henry, Sol Campbell, Fredrik Ljungberg…

Si tous ces titres n’appartiennent certainement pas tous au rock’n’roll au sens strict du terme, ils ont en commun un aspect fédérateur. Leur dimension populaire est elle en revanche bien ancrée parmi les valeurs fondatrices du genre musical, tout autant que chez les supporters, quelle que soit l’équipe concernée. Idéal pour la construction d’une identité collective.

Maxime Rouby
écrit le jeudi 7 décembre 2023 par

Maxime Rouby

Rédacteur pour Janis, nouveau média 100% musique lancé par LiveTonight

Voir d'autres articles

mis à jour le jeudi 7 décembre 2023

Encore curieux ?