Warhol’n’rock - Épisode 1 - Warhol et le rock, histoire d’une distante proximité
« Je ne voulais pas être peintre, je voulais être danseur de claquettes. »
Andy Warhol, 1984
Grande tige, perruque blonde plus ou moins bien entretenue, tout dépend des jours. De noir complet habillé, se permettant de temps en temps un jean, air absent tout en étant à l’écoute de tout, portant son sac à dos par une seule anse, son éternel polaroïd autour du cou, voici Andy, Andy Warhol, figure visionnaire, précurseur absolu et représentant le plus populaire d’un art se réclamant à la fois alternatif et accessible, le pop.
Réputé pour son univers sans pareil, à la fois commercial, glamour, trash et décadent. Assez éloigné de la bien-pensance conservatrice de la bonne société américaine ou bien de l’hédonisme aveugle et sans-lendemain des hippies, l’art de Warhol respire la ville, respire New-York, et la musique qu’il a pu inspirer s’en ressent, naturellement.
Adoré ou détesté, Warhol est sans conteste une personnalité majeure de l’art, toute époque confondue. Son « pop-art », un temps défendu, s’est accordé parfaitement à sa définition. Celui d’un art « déconstruisant les images issues de la culture de masse, démystifiant la symbolique pensée pour désigner et catégoriser les grandes foules » (source : Artalis,c). En gros celui d’un art jetable, évocateur ou pas, répondant à sa signification populaire, reprenant en les détournant des éléments de la vie quotidienne afin d’en tirer la « sustantifique moelle » de Rabelais, et de rappeler surtout que tout est et peut-être œuvre d’art (« All is pretty » étant l’un des dictons de notre héros).
Né en 1928 à Pittsburgh, US, à la fois peintre, réalisateur, acteur, manager, photographe, graffeur, interviewer, directeur d’un titre de presse, nightclubbeur, fidèlement marié à son magnétophone. Homme à lubie inextinguible et original à jamais. Andy, le petit garçon fasciné par les célébrités du cinéma, découpant religieusement leurs images des magazines, chérissant plus que tout son autographe de Shirley Temple. Andy a marqué son temps, et je vous propose aujourd’hui une rétrospective sur son rapport intense au rock, à la musique en général qui est, vous le verrez, plein de surprises.
Andy Warhol, Autoportrait, 1967
Andy Warhol est un artiste rock, qu’on le veuille ou non. Il l’évoque rien que par l’ambiance qu’il crée et sa personne. Néanmoins, en s’intéressant de près à son œuvre artistique, on constate à quel point le rock fut secondaire finalement. Sa démarche pop l’a mené à s’intéresser aux monuments de la vie américaine des années 1960, dont Elvis Presley, qu’il représenta dans Triple Elvis (1963) où il l’a sérigraphié trois fois reprenant une illustration tirée de la publicité du film Flaming Star de 1960.
Andy Warhol, Triple Elvis, 1963
En tant qu’américain, new-yorkais de surcroit, Andy Warhol est amené à consommer cette musique de plus en plus en vogue, bien que son artiste préférée soit à jamais la chanteuse d’opéra Maria Callas. Des témoignages de personnes lui ayant rendu visite dans son atelier rapportent une atmosphère assourdissante, des disques de rock’n’roll passés à plein volume, parfois plusieurs en même temps. Et Warhol reste calme et travaille paisiblement, détestant plus que tout la solitude. Sans doute passait-il ces disques pour combler le vide du silence…
Notre artiste a donc vécu et constaté l’arrivée en masse du rock’n’roll, celle du British Boom, la venue des Beatles, des Rolling Stones sur le sol américain et le raz de marée qui a suivi. Cela coïncide avec l’ouverture de sa première Factory (usine d’œuvres d’arts, notez le pluriel, selon la philosophie warholienne) et le développement de son concept de superstar, accueillant les âmes perdues et tout ce que New-York peut produire de plus marginal dans sa Factory afin d’y travailler, d’y produire sans cesse des œuvres multimédias dans une ambiance de fête permanente.
Naturellement sa Factory prend de l’ampleur, et nos amis musiciens y voient bientôt un passage obligé, lieu hors norme de la nuit new-yorkaise et de la création artistique locale. Bob Dylan est un des premiers à y mettre les pieds, et sera filmé en plan fixe par Warhol durant quelques minutes où Dylan se révèle vite mal à l’aise (on peut aisément le comprendre). Les Rolling Stones le suivront rapidement, et Andy se liera vite d’amitié avec eux, notamment avec Brian Jones et Mick Jagger.
Andy, à l’aise à la Factory
Le Pape et le barde
Éternel collecteur et collectionneur d’images, Warhol profite de ces visites ou de ses sorties à lui pour illustrer ses rencontres avec ces gens qu’il trouve illustres. Il tire donc des polaroïds, qu’il pourra éventuellement utiliser pour réaliser des portraits des concernés. John Lennon, Yoko Ono, Debbie Harry, Mick Jagger, Diana Ross mais aussi Mohammed Ali, Arnold
Schwarzenegger ou Jerry Hall passeront dans son objectif, le résultat est à la limite entre le tirage d’art et la froideur du mug shot.
Les polaroïds d’Andy, toutes époques confondues
Au fil de ses rencontres et des relations se nouant, on demandera à Andy Warhol de réaliser des pochettes d’albums, son nom symbolisant déjà à l’époque une certaine crédibilité underground. Il satisfera des commandes pour les Rolling Stones, notamment la couverture de l’iconique Sticky Fingers (1971), représentant le bas-ventre et les attributs proéminents de l’acteur Joe Dallessandro, autre éphémère superstar de la Factory qu’on retrouvera tournant chez Gainsbourg dans le bien méconnu et arty Je T’Aime Moi Non Plus (1976). Eh non ! Ce n’est pas celle de Mick Jagger, désolé de vous décevoir… Warhol signera aussi la cover de Love You Live (1977), le deuxième album live des Cailloux qui roulent, dans un style bien bigarré représentant des Stones « mordants », c’est le cas de le dire, et d’où se détache une ambiance quelque peu homo érotique. Notre artiste s’occupera également de l’artwork de Menlove Ave. (1986), compilation de chutes posthumes de John Lennon assemblée par Yoko Ono, et celle d’Aretha, cru 1986 de la diva soul qu’on ne présente plus.
Les pochettes de Warhol
Warhol, réalisateur assez hors des chemins, réalisera un seul clip de toute sa carrière, celui de Hello Again (1984) des Cars de Ric Ocasek, groupe très sympathique et trop méconnu. Andy incarne même un bien flegmatique barman dans ce curieux court-métrage pour autant bien formaté pour MTV.
Enfin, et ce sera notre transition avec la partie suivante, il élaborera des pochettes pour l’ex-Velvet Underground John Cale, notamment celles de The Academy In Peril (1972) et de Honi Soit (1981). Si vous ne connaissez pas le travail de ce musicien assez grandiose, je ne peux que fortement vous recommander d’aller vous intéresser à son œuvre éclectique, c’est le moins qu’on puisse dire.
Andy Warhol, The Academy In Peril/ Honi Soit