L'Histoire du rock - Episode 6 - Les derniers jours d’un condamné
La vague du grunge a déferlé sur le monde occidental durant les années 90. Rapportant de la lumière au rock qui était caché sous les gradins des stades des tournées des géants. Seattle est devenu depuis le milieu des années 80 la capitale du rock underground. Il serait facile de considérer le grunge comme la dernière grande ère du rock. De nombreux arguments peuvent défendre cette idée. Ce qui fait la différence avec les groupes qui vont faire le rock des années 2000, c’est la forme qu’ils vont prendre.
The White Stripes, live en 2001.
Jusque-là, pour écouter un groupe, il fallait acheter le vinyle ou la cassette. Puis avec l’évolution des techniques d’enregistrement, la musique s’écoute principalement sur cd durant les années 90. Le changement qui s’opère au tournant de l’an 2000 est artistique, mais également technologique. La musique se dématérialise et devient numérique. L’apparition des premières plateformes comme Napster ainsi que le piratage massif de toute forme de création, rend les maisons de disques frileuses pour la signature de nouveaux contrats. Les médias prédisent la mort de la musique matérielle au profit de ces nouvelles plateformes.
Couverture du magasine “NME”, juin 2010.
Les artistes signés sont ceux qui ont une forte chance de vendre des disques, ou alors des artistes déjà établis. Ce qui popularise d’autant plus les musiques commerciales, dont certaines vont s’inspirer du rock pour surfer sur un marché à haut potentiel. C’est le cas d’Ashley Simpson, Pink, Kelly Clarkson, Maroon 5, Avril Lavigne ou Michelle Branch qui sont le fruit de cet engouffrement dans la brèche béante des ventes de disques de rock.
Radiohead qui a bénéficié d’un succès à la fin des années 90 grâce à l’album OK computer, en sort un nouveau en 2000, Kid A. Qui connaît un énorme succès, au point d’être classé meilleur album par le magazine Rolling Stones. Album fortement inspiré par l’essor technologique que connaît la planète. Le son est un croisement entre rock et électronique. Un prolongement de l’expérience proposée par le groupe dans l’album Ok computer, mais qui l’éloigne encore plus du rock. Le groupe Muse, suivra les pas de Radiohead, en mélangeant fortement rock et musique électronique. Pour le plus grand déplaisir de leurs fans.
Pas de panique, parce que la ville de New-York est toujours là pour être un vivier de talents sans fin. C'est le cas d’Interpol et The Strokes (Je t’avais prévenu que de nombreux groupes avec un de “The”, allaient être cités). Is this it sort en 2001, de nombreux singles annoncent un nouveau genre de rock. Plus rapide, moins saturé, avec des mélodies plus légères et des thématiques moins lourdes. Le morceau Someday, illustre à merveille le son du groupe. Une mélodie légère et entrainante, avec la voix du chanteur Julian Casablancas, légèrement déformée par un effet post production. Ce qui deviendra la signature du chanteur.
De l’autre côté des Etats-Unis, Linkin park, bien que formé en 1996, va connaître un succès explosif en 2000 grace à leur album Hybrid Theory, qui sera confirmé en 2003 avec la sortie de leur chef-d’oeuvre, Meteora.
Un son brut, très rock, parfois proche du métal. Mais qui explore aussi de nouvelles pistes en mélangeant le rock avec le rap, comme leur collaboration avec Jay-Z. Ce qui donne un résultat intéressant, mais qui s’éloigne de l’essence du rock.
De nombreux groupes de rock vont croiser ces courants, comme Blur, qui après être sorti des années 90 et de leur rivalité avec Oasis, cherche un souffle nouveau. Ils vont le trouver dans leur groupe virtuel Gorillaz.
Une succession d’albums alliant rock, rap et électro, qui vont connaître un succès croissant au cours des années 2000. A l’image d’Eminem qui sample le single Dream On de Aerosmith, sur le morceau Sing for the Moment.
Des groupes ayant eu un succès modéré dans les années 90, continuent sur leur lancée, sans jamais devenir des icônes, mais vendant suffisamment d’albums pour voir leurs morceaux adaptés en clip pour MTV. Ce qui est un excellent boost pour les ventes d’albums. C'est le cas de groupes comme les Deftones, Papa Roach ou encore Korn.
Mais les tauliers du rock sont toujours vivants et ils vendent des albums et ça, les maisons de disques le savent. La jeunesse des années 60 et 70 a vieillit maintenant. Bien que plus sage, elle a pour avantage d’avoir un plus fort pouvoir d’achat qu’un adolescent en croissance. Les maisons vont ressortir de leurs placards de nombreux artistes et groupes, pour le plus grand plaisir de quinquagénaires avides de riffs endiablés. Un formidable album sort en 2000. BB King associé au talent d’Eric Clapton, Riding with the King. Un bijou de blues et de rock, remis au goût du jour. BB King, âgé de 75 ans, montre pourquoi il est le roi du blues et donc, du rock.
Bruc Springsteen, Paul McCartney, U2 et bien d’autres groupes de rock vont participer à un spectacle en hommage aux victimes du 11 septembre 2001. Les Rolling Stones sont toujours actifs et sortent un nouvel album en 2005, A Bigger Bang qui connaît un fort succès commercial.
Durant les années 2000, de nombreuses légendes du rock vont se reformer pour des occasions spéciales. C’est le cas de Pink Floyd en 2005, qui se reforme avec Roger Watters, durant le live 8. En 2005, les membres de Cream vont se reformer pour quelques concerts qui affichent un guichet complet.
Mais c’est en 2008 que la banque explose avec le premier concert live de Led Zeppelin depuis le décès du batteur John Bonham. La salle est comble et le cœur des fans aussi.
Sauf que pour la jeunesse des années 2000, les années 60 sont loin. Clapton est le gars qui a composé la bande son de l’Arme Fatale 3. Ce n’est pas le dieu du rock. BB King n’est qu’un obscur chanteur de blues interchangeable avec d’autres. Comme ce sera le cas avec John Lee Hooker et Santana.
La jeunesse veut du neuf, veut qu’on comprenne ses émotions. Mais elle recherche ça d’une manière différente de la jeunesse rebelle des années 60, ou des punks des années 70. Surtout, elle le cherche d’une manière moins torturée que le grunge des années 90. Cette évolution est le reflet de la société occidentale. Qui s’est reconstruit après la Seconde Guerre mondiale, sur les ruines d’un des événements les plus chaotiques de l’histoire de l’humanité. La révolte est d’abord tournée vers l’extérieur. Elle est physique. Viscérale. Pour devenir de plus en plus psychologique. L’expression d’émotions fortes, sombres qui touchent la jeunesse occidentale est acceptée et banalisée.
Des groupes comme Coldplay seront la tête de proue de ce mouvement, avec leur album Parlophone, et des balades comme Yellow, ou des hymnes à la liberté comme Speed of Sound. Et une succession de groupes commerciaux qui suivent ce sillon, en intégrant une forte tendance Emo, comme Jimmy Eat World, Fall Out Boy, My Chemical Romance ou encore Evanescence. James Blunt connaîtra un franc succès aussi avec son titre You’re Beautiful.
Mais, plutôt que de t’expliquer ce que le rock n’est plus. Autant te montrer ce qu’il est devenu. Des labels indépendants vont signer certains groupes, qui vont protéger malgré tout, la flamme tremblotante du rock. Des groupes comme The Vines, The von Bondies, The Hives, The Strokes, The White Stripes, The Libertines, The Darkness, The Black Keys, The Killers, (je t’avais prévenu.)
Mais aussi un groupe qui ne commence pas par “The”, mais qui va offrir des albums rock qui n’ont à rougir devant aucun autre groupe, Queens of the Stone Age. Franz Ferdinand fera sonner les guitares comme un subtile mélange entre un groupe de rock des années 60, avec la puissance d’un groupe des années 90. Jet et Muse sortiront quelques albums à succès, utilisant la même recette que Franz Ferdinand.
Un excellent clip pour résumer l’histoire du rock est celui de Red Hot Chilli Pepper, Dani California, qui retrace l’évolution visuelle des groupes du rock, des années 60 aux années 2000. Un excellent moyen de conclure cette série. Le rock, c’est de la musique, c’est de la texture, c’est des vêtements, c’est aussi de l’absence de vêtements (je parle de toi Iggy Pop).
Les années 2000 et 2010 ne sont clairement pas l’âge d’or du rock. Le genre commence déjà à se diriger vers de la pop durant les années 80, avant la déferlante de la pop britannique des années 90. Cette limite sera encore plus claire durant les années 2000. Où le rock va laisser place à la pop. Une musique pétillante, légère, creuse. Quelques sursauts permettent au genre de survivre. Mais les maisons de disques vont favoriser la musique des cultures populaires à fort potentiel d’achat. La culture urbaine prend d’assaut les marchés de la mode, et de la musique. Les artistes rap, vont écouler d’énormes quantités d’albums, ils seront les chouchous des maisons de disques. Il en va de même pour la culture mainstream qui favorisera les artistes découverts sur les plateformes numériques ou via les telecrochets comme la nouvelle star, incroyable talent et toutes les variantes que ce type d’émission peu connaitre. Les nouvelles technologies sont un frein à la signature de nouveaux groupes, mais paradoxalement, vont permettre à de nombreux d’entre eux d’atteindre un large public. Mais la majorité d’entre eux ne sont pas des groupes de rock.
Le rock est devenu un genre marginal, relégué au second rang de la musique. Il suffit de regarder les artistes qui reçoivent des récompenses musicales. Figurent sur la liste et de façon très anarchique, Beyoncé, Adèle, Billie Eilish, Lana Del Rey, Lady Gaga, Dua Lipa.
Mais le rock est le fruit de l’évolution des sociétés. C’est un héritage de près de 70 ans, qui se transmet au fil des générations. Certains groupes incarnent encore cet esprit, comme Idles ou encore Greeta Van Fleet. L’avenir du rock est incertain, tout comme son origine, il défie les pronostiques. Une transformation en marge de la société, il peut surgir à tout instant de l’endroit le plus insoupçonné.