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Yéyés vs rap : même combat ?

écrit par Guillaume Ferrand le mardi 22 novembre 2022

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Yéyés vs rap : même combat ?
 

C’est l’histoire même de la musique. Sa fonction intrinsèque, sa vocation : se diffuser au plus grand nombre. Pas étonnant que des musiques marginales et contestataires finissent par faire leur trou, s’immiscer dans la pop-culture et susciter un certain engouement de masse avec le temps : le jazz, le blues, le punk, le grunge…  La tecktonik…

Yéyés vs rap : même combat ?

Jusqu’ici, chaque style est apparu en réponse à un courant existant, marquant généralement une époque avant de laisser sa place à la suivante, et de manière générale, jusqu’à la fin des années 90, c’est la pop, le rock ou la variété qui rassemblait les jeunes.

Mais depuis près de deux décennies, c’est le rap qui, de loin, est LA musique n°1 auprès des 15-25 ans (voire plus si affinités) et s’est ancré dans la société suffisamment profondément pour être considéré autrement que comme un simple effet de mode, un délire de jeunesse.

De l’avis de certains, elle a même changé le monde (ce que les genres cités précédemment n’ont pas réussi à faire, du moins pas aussi fort, pas aussi durablement. Quoique la tecktonik, quand même… Bref).

Pourtant, il y a environ 60 ans, s’est produit un phénomène un peu similaire à certains égards. Sans se lancer dans une grande thèse en musicologie, on verra qu’à cette époque, un courant musical (inspiré des États-Unis évidemment) a rapidement et nettement dominé - et même ringardisé - tout le reste.
 

15 - 25 ans

 

En effet, au début des années 60, un nouveau phénomène s’abat sur toute la France. Les responsables du méfait : Johnny Hallyday, Françoise Hardy, Sylvie Vartan, Claude François, Sheila, Eddy Mitchell, France Gall, Dalida, Dick Rivers… toute cette clique estampillée nouvelle vague. Une vague qui s'engouffre d’un coup dans la chambre des ados et emporte tout sur son passage. Exit les idoles poussiéreuses des parents, adios les crooners d'avant-guerre et les chanteurs à la papa (Brassens, Mouloudji, Charles Trenet…). Place aux nouvelles vedettes. Place aux babys-boomers qui n’ont qu’une envie : kiffer la société de consommation et le capitalisme émergent d’après-guerre ! Et quoi de plus efficace que la musique pour fédérer une communauté - ce n’est pas chez Janis qu’on dira le contraire.

Ça peut certes prêter à sourire de notre point de vue de millenials, mais c'était bien tous ces gens cités plus haut les véritables idoles des jeunes dans les années 60. La street cred des sixties, en France, c'était eux. Évidemment, tout cela - et c’est bien là tout l’intérêt - ne plaira pas aux parents qui n’y verront qu'un tintouin inaudible n'ayant que pour finalité de mettre en péril la langue française et abrutir la jeunesse. Un vrai fossé se creuse alors entre le monde des adultes et celui de leurs rejetons.

Yéyés vs rap : même combat ?

Car, s’ils n’existaient pas vraiment avant-guerre, les 15-25 ans représentent désormais une catégorie sociale à part entière, avec sa mode, ses codes, son pouvoir d’achat, son mot à dire et donc, son propre langage, bien aidés en cela par le marketing, et les évolutions technologiques qui chamboulent l'industrie de la musique : le transistor portable et le 45 tours, peu cher et concentré autour d’un titre. Toute bonne chambre d’ado digne de ce nom doit en être équipée. Dans les années 60, la musique se consomme de manière plus expéditive et fait la part belle au single, au tube instantané, formaté. Le principal, c’est de swinguer, de se trémousser sur des rythmes endiablés. Et c’est ainsi que sont nés les yéyés : à la fois cause et conséquence d’une jeunesse désireuse de casser les codes d’une époque révolue à leurs yeux. À partir de maintenant, on s'habillera yéyé, on bouffera yéyé, on vivra yéyé ou on ne vivra pas, parole de jeune moderne !

Mais… tiens tiens… Marketing, évolutions technologiques, un phénomène de masse que nul n’a vu venir et qui devient la raison d’être de toute une frange de la population, des vedettes qui font la mode, une jeunesse qui s’émancipe et des parents largués… Tout cela ne nous rappelle-t-il pas quelque chose ?

 

Transistor vs streaming


45 tours / streaming. Transistor portable / iPod puis smartphone. Années 60 - années 2020, même combat ? Est-ce que le rap ne serait-il pas the new yéyé (d’ailleurs l’onomatopée “yéyé” c’est un peu l’équivalent du “yo !” que l’on associe aux rappeurs et fans de rap : c’est utilisé de manière péjorative par les boomers pour dénigrer et caricaturer une sous-culture selon eux vide de sens) ? Est-ce que Salut les Copains, émission de radio puis revue ultra-populaire de l'époque, c'était un Planète rap avant l’heure ?

Yéyés vs rap : même combat ?

Est-ce que cette très mauvaise manie qu’ils avaient alors de reprendre dans un français approximatif des chansons populaires outre Atlantique serait l’équivalent de cette très mauvaise manie qu’ils ont maintenant de lâcher à tout va des punchlines autotunées et de qualité approximative ?

Quoiqu'il en soit, on pourrait penser que dans les deux cas, que ce soit celle des années 60 ou celle d’aujourd’hui, la jeunesse représente la génération de l’après, celle de l’époque moderne : celle de l’après-guerre d’un côté et celle du web 2.0 de l’autre (réseaux sociaux, Snap, Tik-tok et compagnie, t’as capté), désireuse de n’appartenir qu’à elle-même, et surtout pas au monde des adultes.


Phénomène du passé, phénomène for ever ?

 

Il y a donc bel et bien certaines similitudes entre les deux mouvements. Pourtant, le terme yéyé désigne moins un mouvement, justement, qu’un style de musique et ratisse même assez large, dans la mesure où il regroupe plusieurs genres musicaux de la mouvance rock, allant de la pop au rockabilly, en passant par le twist et le madison. Le rap quant à lui, même si le genre devient de plus en plus vaste et fractionné en sous-genres, représente avant tout un style musical à part entière.

Et surtout, au contraire du mouvement yéyé qui a été fulgurant, le rap n’est pas une nouveauté sonore dans le paysage artistique. On avait de quoi le voir venir de loin : le hip-hop, mouvance dont il est issu, existe depuis plus de 30 voire 40 ans ; bien que marginal à l‘origine, il est devenu en l’espace de quelques années un phénomène de masse et de pop-culture, qui s’est structuré et industrialisé… Durablement ?

Car c’est une des autres différences notables que l’on peut pointer : artificielles autant que relativement éphémères (une petite décennie), les années yéyés sont bel et bien terminées depuis longtemps, ayant fini par laisser leur place aux années disco, puis aux années 80 etc… Les anciennes idoles des jeunes ont fait long feu et sortent occasionnellement de leur torpeur - pour celles qui sont encore de ce monde - pour quelques revivals qui sentent bon la naphtaline #AgeTendreEtTêteDeBois

Yéyés vs rap : même combat ?

 

Classez moi dans la variet’

 

Alors que le rap lui, semble s’être emparé en profondeur de la société et de la pop-culture. Il tape fort dans les oreilles et dans les têtes des pré-ados… mais aussi des trentenaires, ou même des quarantenaires… Et les premiers rejettent déjà le rap des seconds et inversement. Et on ne voit pas le phénomène prendre fin, au contraire, le rap a bel bien fait son trou. Plus que jamais populaire, plus que jamais woke, plus que jamais mainstream, plus que jamais pop… et rock’n’roll… et variet’ en même temps (“Classez-moi dans la variet’” comme le disait déjà Doc Gynéco dans son morceau éponyme en 1996).

Plus que jamais universel, donc, et en même temps plus que jamais décrié et critiqué. L’histoire de la musique en somme, même si finalement, le rap semble être en passe de remporter son dernier combat, celui que les yéyés n’ont pas su remporter : celui qui lui permettra de casser définitivement le plafond de verre qui le cloisonne encore à une musique de jeunes en perdition.

Alors à quand un président fan de Booba ? Un grand-père fan de SCH, de Ninho ou de Koba LaD ? Est-ce que ces derniers sauront traverser les époques comme Gainsbourg, un Johnny ou un Bashung en leur temps ?

Le rap va-t-il finir par se gentrifier, comme le rock ? Par se diluer et se diffuser auprès d’une population élitiste, comme le jazz (qui, comme le rap par ailleurs, est une musique à l'origine plus populaire que savante) ? Par être supplanté par un nouveau genre que personne ne verra venir et qui nous reléguera tous au rang de has-been pour les générations futures ?

Mystère (et suspens - alors les jeunes, vous avez la ref ? Fonky Family, ça c’était de la musique !).

Guillaume Ferrand
écrit le mardi 22 novembre 2022 par

Guillaume Ferrand

Rédacteur chez Janis, nouveau média 100% musique lancé par LiveTonight

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mis à jour le mardi 22 novembre 2022

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