Entre fantasme et réalité, le parcours elfique du terrien Connan Mockasin
De presque tous les continents, il en a fait ses terrains de jeux inventifs et ses résidences temporaires. Accompagné de sa guitare à laquelle il donne des effets tournants et dissonants, Connan Mockasin balade son groove rêveur et trace son chemin de troubadour 2.0 dans la stratosphère indie-rock moderne.
Depuis son premier album, Forever Dolphin Love, produit par le DJ londonien Erol Alkan, il s’est écoulé un peu plus d’une décennie. La source de sa créativité semble inépuisable, ses paroles imaginatives et ses arrangements pop blues lo-fi ont donné naissance à 5 albums. En prime, il s’est fait une jolie place dans les cercles musicaux ouverts du monde entier avec ses nombreuses collaborations.
La musique de Mockasin est connue pour son style non conventionnel. Ses chansons sont un peu floues, déformées, au point de se demander si l’on écoute les titres à la bonne vitesse, et dans lesquels on peut entendre des sons étranges, des pleurs, des voix féminines chuchotantes, comme dans les titres It’s Your Body 5 et Why Are You Crying de son LP, Caramel.
Lorsqu’on écoute sa discographie, on pénètre dans une sorte de refuge musical où le musicien nous raconte ses différents périples imaginaires. Connan Mockasin invente un univers onirique où retentit une musique psychédélique. Attiré par l’inhabituel et le décalé, cet homme compose une musique singulière, comme avec ce titre, Egon Hosford, qui dégage une âme trippante.
Fuyant la grosse machine de l’industrie du disque qui le contrarie en agitant les carnets de chèques qui le contraignent plus qu'ils ne le libèrent, il préfère les labels indépendants comme Mexican Summer pour ne pas sacrifier sa création au diktat des grosses majors.
Sa musique audacieuse enveloppe une guitare scintillante, des percussions inventives, des lignes de basse élastique, et entremêle dans sa mélodie planante la singularité d’une écriture surréaliste comme avec le titre Unicorn In Uniform. Ses clips le sont tout autant jusqu'à la bizarrerie. Celui qui fait vibrer sa trachée avec sa main, émet une voix mutante parfois enfantine, parfois féminine. De ses chansons déroutantes, déconnectées de toute volonté d’être une musique dans l’air du temps, on ne résiste pas longtemps au charme souvent farfelu de cet artiste. Ses mélodies nous entraînent dans une danse de mouvements enivrants, doux presque aquatiques. Une chorégraphie se dessine dans notre tête, elle ressemble à celle que la raie manta pourrait avoir avec ses partenaires de jeu pour ensuite les attirer dans les profondeurs océaniques.
Très loin de tout autre pays, Connan Mockasin a grandi à Te Awanga, petite ville côtière néo-zélandaise, où on l’imagine assez bien longer les allées d’un vignoble du coin et rejoindre l'océan pour surfer la vague du Pacifique.
Il y a fort à parier que l'esprit explorateur et imaginatif de ce musicien a commencé à se construire au beau milieu de l’arrière-cour de la maison familiale de son enfance. Ses parents l'encouragent, lui et ses 2 frères, à créer de l’art et faire ce qu’ils aiment faire. Ce dépotoir qui leur sert d’espace de jeux, le jeune Connan y construit des manèges de parcs d’attractions avec des trucs et des bidules récupérés qu’il recycle. Et parmi ses créations d’arts visuels, il bricole sa guitare, enregistre des sons et des chansons. C’est aussi sûrement dans cet endroit qu’il confectionne ses fameuses chaussures de type mocassin à partir de vieux pneus de moto et de peau de mouton. Son nom de scène lui vient de cette habitude de jeunesse transmise par sa grand-mère.
Enfant, il adore danser sur la musique de Star Trekkin, chanson du groupe britannique The Firm, qui parodie en 1987, la série télévisée de Star Trek. Ensuite le hair metal est apparu dans le petit écran néo-zélandais. À lui les joies des cheveux longs crêpés, du denim serré et autres accessoires en élasthanne pailleté. Ce n’est pas qu’il aime tant cette musique mais il veut faire partie de ce tableau coloré.
Et un jour de sa jeune adolescence, il entend pour la première fois Voodoo Child et Star-Spangled Banner de Jimi Hendrix dans le film Piège en haute mer de Steven Seagal. Après avoir récupéré et usé le vinyle de ses parents, Band of Gypsies, il devient fan du guitariste américain. Il se met à jouer de cet instrument de manière obsessionnelle. Ses autres influences seront B.B. Kings, Sly Stone ou encore Michael Jackson. Mais il comprend très vite qu’il doit se mettre dans son monde déconnecté du reste, pour assimiler son propre son.
Devenu guitariste accompli, Mockasin envoûte avec sa manière naturelle et décontractée de jouer de la guitare. Au départ de cette aventure musicale, Connan crée un groupe de blues-pop alors qu’il vit à Wellington, connu sous le nom de Connan and The Mockasins. Le groupe est composé de Connan Hosford lui-même (chant, guitare), Ross Walker (basse acoustique) et Seamus Ebbs (batterie). Ils sortent un EP intitulé Uuu It’s Teasy. Ils partent en tournée à travers la Nouvelle-Zélande.
En 2006, le groupe déménage en Angleterre. C’est là-bas, après une série de concerts dans la capitale anglaise que sa musique prendra un peu plus d’essor et ce sera désormais sous le nom de Connan Mockasin.
Avant même qu’il ait eu le temps de sortir son premier LP, plusieurs collaborations s'enchaînent, notamment avec Norman Cook de Fatboy Slim pour Brighton Port Authority en 2008. De sa notoriété naissante, il se confronte à une réalité qui ne lui convient pas et envisage d’abandonner la musique.
“ Quand je suis arrivé à Londres pour la première fois et que j’ai commencé à m’intéresser aux labels, j’ai découvert qu’ils me disaient tous : “ si nous te signons, c’est ainsi que tu devras faire les choses. Tu vas devoir faire un album dans ce studio avec ce producteur ”.
Connan préfère s’éloigner de l’industrie musicale britannique concluant que ce n’est pas sa place. “ Je n’étais tout simplement pas impressionné par la façon dont ils essayent de vous faire faire des chansons ”, dit-il. Il trouve l’ambiance déprimante et décide de rentrer à la maison, en Nouvelle-Zélande.
Après avoir flâné un temps sur les plages de son pays insulaire, l’histoire aurait pu s’arrêter là, mais c’était sans compter sur les encouragements insistants de Maman Mockasin qui le pousse à enregistrer son album. “ Finalement j’ai cédé et j’ai enregistré, même si je ne m’attendais pas vraiment à ce que ce soit entendu ” raconte-t-il lors de ces interviews. Sauf qu’un jour, Erol Alkan tombe dessus et veut le signer.
Initialement sorti sous le nom de Please Turn Me Into The Snat en 2010 sur le label Phantasy Sound, l’album reçoit des critiques élogieuses et en 2011, il est réédité sous le nom de Forever Dolphin Love.
En 2010, Connan part en tournée avec ses compatriotes néo-zélandais de Crowded House lors de leur tournée au Royaume-Uni, puis avec Mystery Jets et Warpaint la même année. Depuis la sortie de l’odyssée funky pop de son 1er LP d’un style exceptionnel, pas de phénomène viral autour de sa musique expérimentale, mais Mockasin acquiert peu à peu et sûrement ses admirateurs jusqu'à des noms célèbres.
De Jarvis Cocker à Tyler, The Creator, en passant par Beach House et Thom Yorke, tous saluent sa musique imaginative. Mockasin part d’ailleurs en tournée avec Radiohead qui l’invite à faire sa première partie dans sa tournée australienne en 2012, sûrement séduit par des titres comme Faking Jazz Together.
En 2013, dans son album étrange et aussi soyeux que son titre, Caramel, qui est la suite de Forever Dolphin Love, le musicien dérive encore un peu plus dans l’abstrait et dans une ambiance suspendue.
Très loin du mainstream musical, Connan compose des chansons déconcertantes, qu’il veut simples, douces, sympas qui détendent. Son rythm ’n’ blues déjanté qu’il étire comme s’il injectait des bulles d’air dans ses notes, et où la guitare résonne comme un mille-feuilles de réverbérations feutrées, nous fait monter à bord d’une capsule spatio-érotico-sensorielle d’un genre gainsbourien. Et pourquoi pas ? On est curieux, on est joueurs, on embarque !
Pour nourrir son processus de création, il choisit le Japon qu’il trouve mystérieux et excitant. Celui qui est fasciné par la poésie des films d’animation de Miyazaki, loue une chambre d’hôtel à Tokyo pendant un mois et commence à enregistrer toutes les idées qui lui viennent. Il semblerait que cette “ chambre d’enregistrement ” devienne aussi un lieu de passage, de détente et de plaisir.
L’idée de ce setup lui vient du fait qu’il n’aime pas trop le travail en studio. Pour lui, il y a trop d’options et ça le sort de sa concentration. “ J’aime les délais et les limites ” dit-il. A l’origine, il prétend que c’est un album conceptuel sur une histoire d’amour entre un homme et un dauphin, mais l’histoire se termine par un accident de voiture. Franchement, j’avoue que je suis complètement passée à côté du scénario initial. J’ai plutôt immergé dans une ambiance de boudoir des années 70. La plupart des titres de ce LP sont suffisamment suggestifs pour saisir le propos. Les gémissements, les soupirs installent un esprit vaporeux et voluptueux à l'album. Le morceau groovy, I’m The Man, That Will Find You et le titre Do I Make You Feel Shy où l’on entend sa voix sans trop d’effet, planent dans une texture tamisée.
C’est après ces 2 titres qu’on atteint un niveau supérieur d’un délire hautement baroque de l’auteur-compositeur. Peut-être que certains d’entre nous sont dérangés par cette accumulation d’effets, de petits bruits étranges et évocateurs mais Mockasin précise que si sa musique est enracinée dans la liberté de l’enfance, il a grandi avec un sens de l’humour malicieux.
Quoiqu’il en soit, il distille une dimension scénique très forte à ses albums. Sa manière d'installer l'énergie sonore, ses récits imaginatifs, et son audace rendent ses chansons très visuelles. Même si Mockasin donne l’impression que les choses se font un peu par hasard, il est au contraire précis. Il applique la même configuration à tous les instruments. Il trouve que ça donne au son général une certaine sensation et le fait s’asseoir confortablement.
5 ans plus tard, il revient avec un nouveau LP, Jassbusters, qui s’est construit en deux temps, avec une première sortie en 2018, et la seconde à l'automne dernier. Enregistré avec son groupe de tournée (Nick Harsant, Matt Eccles, Rory McCarthy) à Paris pour le premier volet et à New York pour Jassbusters Two.
Là aussi c’est un album concept (je crois qu’ils le sont tous) qui est la bande son d’un film, que Connan Mockasin a écrit lui-même avec son voisin et ami d’enfance, Blake Prior. Ce mélodrame raconte l’histoire d’un professeur de musique, M. Bostyn et de son élève, Dobsyn. Et Jassbusters est la réplique musicale de ce film, qui est aussi le nom du groupe de musique fictif, composé de collègues professeurs et dirigé par Bostyn lui-même.
Oui, tout ceci n’est pas banal. Mais cet auteur parfois difficile à cerner, à un univers insolite qu’il aime partager avec son public, et on l’en remercie. Le titre soft rock de 9 minutes, Charlotte’s Thong, est juste un appel à la détente, tout comme avec Con Conn Was Impatient, où Mockasin laisse glisser sa voix de crooner.
Sur la chanson langoureuse Momo’s, on entend la voix profonde de James Blake et on se laisse emporter avec Last Night, une ballade soul qui frémit lentement et doucement au son d’une cymbale lointaine.
Jassbusters Two est un prolongement naturel de son précédent album, allant vers un jazz lent et délicat, à l'image du captivant Flipping Poles. Été 2021 sort un cinquième album de Connan Mockasin, et comme à son habitude, il est étonnant. C’est un projet collaboratif entre Mockasin et son père, Ade Hosford, et pour l’occasion, ils se réunissent à Marfa au Texas pour enre
gistrer ce duo musical.
Imaginez le père de Mockasin chantant doucement un flux de pensées, avec un style un tantinet gras et gazeux, qu’il déverse dans l’intervalle du phrasé musical d’une guitare, d’un synthé et d’une boîte à rythme. Le mélange de sa voix âgée sur la musique néo-soul est singulier, et donne des moments aussi inattendus que sensibles. Ce qui est particulièrement le cas avec le titre Marfa. Le titre funky What It Are rappelle pourquoi on aime tant Connan Mockasin.
Absorbé par son propre monde musical, il aime aussi développer des projets aux côtés de noms célèbres de la musique indé : MGMT, Charlotte Gainsbourg, Devonté Hynes, Ariel Pink, ou encore Sam Dust avec leur projet Soft Hair.
Ce néo-zélandais est reconnaissant de la façon dont son parcours se déroule car selon l’artiste “ on dirait que tout a été fait un peu par erreur ”, même si, ajoute-t-il, “ il n’y a aucune obligation de continuer ”. Si les idées cessent de venir, si l’excitation se dissipe, si cela commence à ressembler à du travail, alors il cessera de faire de la musique.
Le cosmos de cet homme est une corne d’abondance gorgée d’inventivité, de sensibilité, d’énigmes, de drôlerie et de génie. Sous son air tranquille et doux, ce conteur d’une richesse musicale folle, est extravagant. Et son groupe tout aussi génial s’amuse à le suivre sur ses déclinaisons fantaisistes et envoûtantes.
Avec lui, il est facile de lâcher prise, ses chansons incitent au vagabondage de l’esprit. Tout est tellement imaginaire, délicat et ouvert dans sa musique, qu’on s’y sent libre et pour un moment, ça nous fait échapper à la pesanteur du monde réel.