Interview : Samuel Degasne : Voyage au bout du récit
Un jour au micro, l’autre en vidéo, il ne fait jamais dans la demi-mesure. Personnalité « sucré-salé », Samuel Degasne explore toutes les possibilités imaginables pour nous aider à briller en société. Journaliste, chroniqueur, conférencier et « théoriste musical » auto-proclamé, c’est aussi sur YouTube et sa chaîne Une Chanson l’Addition que cet angevin d’origine conte la bonne histoire, avec l’objectif d’apprécier davantage nos titres favoris en les comprenant. Entretien.
Quel bilan global fais-tu six ans après la création d’une Chanson l’Addition ?
J’ai appris sur moi et fait face à beaucoup de découvertes. L’idée de me produire en image a été une nouveauté, elle ne venait pas de moi au départ et il a fallu que je m’habitue à l’exercice des zooms/dezooms. La genèse d’UCLA est venue des anecdotes que je racontais (et que je raconte toujours) à mes amis au bar. On m’a mis une caméra sous le nez un jour en me disant « vas-y raconte des choses, d’ailleurs de quoi tu parlais hier soir ? », et je me suis mis à les raconter de la même manière. Le seul objectif fixé était que ça me ressemble, sans qu’il y ait de décalage entre le vidéaste et la personne que je suis tous les jours. J’ai aussi découvert une forme de responsabilité dans l’écriture. Les premières vidéos étaient de la pure improvisation, et il a fallu que je travaille le choix de mes formulations pour être plus précis dans le factuel. On peut parler d’un album sorti en automne qui est finalement sorti en été, parce qu’on s’est trompé sur la date exacte. Pour moi, être journaliste est un sacerdoce et je le reste quoi qu’il arrive.
Tu as des inspirations pour raconter ces histoires ? (Je pense forcément à ta sublime imitation de Philippe Manoeuvre...)
Pas vraiment ! J’ai toujours eu peur de copier et qu’on le remarque. Il peut parfois arriver que je me dise « tiens ce type d’intonation ressemble à celle de Christophe Crénel » mais c’est une réflexion complètement inconsciente. Je dirais plutôt que je suis un gros consommateur de médias et c’est la somme de toutes ces lectures et ces expériences qui m’ont donné ma façon de raconter. Je rencontre parfois des gens qui veulent parler de la chaîne, et qui se bloquent quand je leur parle en me disant « C’est dingue je me crois dans une vidéo. » Et il m’a fallu longtemps avant de comprendre que c’était le meilleur compliment possible, parce que l’énergie que je mets à raconter ces histoires est la preuve que je ne me force pas à être quelqu’un d’autre. J’espère juste ne pas être une ratatouille (rires).
UCLA permet de découvrir l’importance d’une histoire sur la création d’une chanson, d’un artiste ou d’un groupe. As-tu des chansons que tu aimerais aborder mais dont tu ne peux pas parler parce qu’il y a pas assez autour ?
Bien sûr, souvent pour les mêmes raisons : Soit il n’y a pas assez d’infos, soit parce que je n’ai pas pris le temps de creuser, ou parce que les gens adorent nous mettre dans des cases. Les titres abordés sur la chaîne me relient naturellement vers le rock et le métal, mais j’écoute aussi d’autres genres. Quand j’allumais la radio dans les années 90, il y avait autant de Dr.Dre, Cypress Hill que de Nirvana et d’Oasis donc j’ai pris l’habitude de tous ces univers. J’essaie de tirer les gens vers d’autres genres. J’adore la soul et la country mais je ne m’y autorise pas sur la chaîne parce que je ne souhaite pas heurter en passant subitement d’un genre à un autre.
J’aimerais développer une chaîne secondaire qui aborderait d’autres aspects. Savoir l’histoire des morceaux m’a toujours fasciné, je trouve ça génial car ça casse les préjugés trop souvent répétés, présentant Rammstein comme un groupe nazi ou les Spice Girls comme un girls band complètement fabriqué alors que pas du tout ! Il n’est pas essentiel pour moi de connaître l’histoire de quelque chose, mais je trouve que ça donne du relief au plat. Il faut avoir conscience que lorsqu’on est au restaurant et que le serveur nous présente les ingrédients d’une recette, je le trouve encore meilleur parce qu’il y a une petite dimension en plus qui peut être intéressante pour certains.
Quelle est l’anecdote qui t’a le plus marqué pendant la préparation d’un épisode ?
J’ai souvenir de cette anecdote ou je vois Sting aux Vieilles Charrues. Classe et élégant comme à son habitude, il commence à jouer Roxanne et j’attends absolument qu’il fasse son petit rire au début comme dans l’original. J’appelle mon frangin après le concert en lui expliquant comment j’attendais ça et il me dit « Attends tu connais pas l’anecdote ? » Il avait regardé le Taratata de la veille dans lequel Sting expliquait que ce fameux rire venait d’un enregistrement à Montmartre un lendemain de fête, durant lequel il s’assoit sur le piano en jouant de la basse en décidant ensuite de le laisser sur le morceau comme easter egg. C’est une des anecdotes qui m’a marqué, parce qu’on a tous entendu ce titre des centaines de fois sans jamais savoir l’histoire derrière. Et lorsque tu expliques ça au bar, les gens ont du mal à te croire : Donc tu leur fais écouter le morceau et tu leur dis « Eh ouais, il y a les fesses de Sting qui jouent. » (rires).
Tu as été un enfant de la pub avant le journalisme. Les deux étant des professions demandant une certaine créativité, est-ce que ton passé t’aide dans la création de tes formats ?
Pas forcément dans les formats, mais beaucoup dans l’écriture ! Je voulais être peintre quand j’étais au lycée et mes plans ont changé lorsque j’ai découvert les Beaux-Arts et le prix des écoles graphiques. La publicité a été la voie médiane de tout ça, et elle m’a appris à conditionner mon cerveau, à trouver des idées (ce dont je n’ai jamais manqué), et à proposer des concepts. Mais je ne me suis pas reconnu dans ce monde parce que j’étais contraint dans la manière de raconter les choses. Je me suis ensuite souvenu des heures passées devant la radio quand j’étais ado, et j’ai constaté que c’était ça que je voulais faire. Le journalisme est un métier dur, carnassier, qui donne peu de place à la vie, dans lequel on donne souvent les postes les plus importants à partir de 40 ans, mais il existe des petites étincelles qui valent assez souvent tous les sacrifices.
As-tu une préférence entre la radio et Youtube ? Le fait d’être visible par ta communauté sur les vidéos rajoute un supplément d’âme ?
J’ai tendance à préférer la radio. C’est un média extrêmement intime ou les gens se promènent avec nous toute une journée. On peut faire des tonnes de gestes et des grimaces parce que on est caché derrière un micro. Je prends énormément de plaisir à faire les Fake Rock News sur Oui FM parce qu’on me donne la possibilité d’écrire de manière libre tout en donnant de l’info, et c’est un vrai plaisir. La vidéo c’est autre chose, ça demande beaucoup d’installations et c’est étrangement plus valorisé parce qu’on me voit à l’image. En revanche ma personnalité n’a jamais été l’un ou l’autre : des gens sont parfois sucrés parfois salés, je suis souvent les deux et c’est ce que j’aime dans le journalisme. Tu peux interroger un jour une centenaire qui raconte la guerre, et avoir l’impression de recommencer son taf de zéro le lendemain en interviewant Jonathan Davis (frontman de Korn) juste après.
Tu expliquais pendant une FAQ « avoir assisté à trois/quatre concerts par semaine pendant une dizaine d’années avant de te calmer ? Quel concert souhaiterais-tu revivre à nouveau si tu avais une machine à remonter dans le temps ?
Revoir Rage Against The Machine en concert est une de mes plus grosses envies. J’ai eu la chance de les voir deux fois et c’était dingue. Je n’aurai jamais pensé avoir cette chance étant adolescent, et les voir sur scène m’a rappelé leurs passages radio que j’enregistrais sur cassettes vierges en les écoutant jusqu’à l’épuisement. Je me rapproche aujourd’hui de la quarantaine et j’ai décidé d’aller voir toutes leurs dates européennes à Reading ou à Paris. J’aimerais bien faire un petit road trip comme ça ! Le concert des Têtes Raides aux Vieilles Charrues en 2001 était aussi mémorable parce que je me fais cueillir par Ginette, qui est une chanson que je ne connais pas. Christian Olivier s’apprête à finir le titre quand tout le public reprend la mélodie a cappela. J’ai ressenti une adrénaline tellement forte que je me suis dit, « pourquoi je n’en ferai pas mon métier ? » C’était génial.
On a découvert ton admiration pour Saez dans l’épisode lui étant consacré : As-tu déjà pensé à aborder des histoires de chansons ou groupes que tu n’apprécies pas dans UCLA ?
C’est arrivé ! J’ai déjà traité des groupes pour lesquels je n’avais pas d’atomes crochus musicalement, et je crois que c’est exactement la sensation que j’avais pendant mon BAC littéraire en me tapant La Règle du jeu de Renoir ou L’Encyclopédie de Flaubert (rires). On lit péniblement au départ et on commence à apprécier quand on découvre leur contexte. Musicalement, il m’a fallu du temps pour comprendre la démarche l’aspect musical compact de Slayer. J’ai aussi longtemps été hermétique à Foo Fighters que j’ai longtemps vu comme une version pop un peu léchée de Nirvana. Iron Maiden a aussi été un sujet de discorde parce que je ne savais pas si je devais considérer ça trop ringard ou trop génial, et mon avis a radicalement changé quand j’ai été les voir en concert.
Quels ont été tes coups de cœur musicaux en 2021 (aussi bien dans les nouveautés que dans les découvertes) ?
J’ai beaucoup apprécié Fortitude de Gojira parce que j’ai vécu très intensément sa sortie. Rolling Stone m’a envoyé le disque trois mois avant, ce qui m’a naturellement amené à rencontrer le groupe, me documenter et écouter le projet jusqu’à l’overdose pour le comprendre au maximum. Même chose avec le dernier No One Is Innocent pour lequel le groupe m’a demandé d’écrire leur bio de sortie d’album. J’avais eu du mal à comprendre ce disque au départ, puis le fait de travailler dessus et de passer du temps avec eux m’a poussé à l’écouter autrement et a apprécier certains morceaux à un stade obsessionnel. Dans un autre cadre, Tête Blême de Pogo Car Crash Control m’a beaucoup accompagné durant le premier confinement !
Le peuple veut savoir : As-tu encore assez de place pour ranger toutes ces chemises noires ?
Je vais briser un mythe, mais je n’en ai que deux… (rires). En revanche ça a longtemps été un sujet de rigolade lié aux Vieilles Charrues, durant lequel je venais avec des chemises toujours plus fleuries pour les conférences que je tenais, histoire de casser un peu l’ambiance solennelle de ce genre d’événements.
Où peut-on te retrouver IRL en 2022 ?
Dans mes souhaits les plus chers, pendant le Hellfest, un concert de Rage Against the Machine, un de Gojira à Paris, ou dans un bar ! (rires)