Les femmes et le rap
Comme beaucoup, je procrastine au lieu de réviser mes examens. Puis je me décide à… Travailler ? Non, ouvrir Tiktok. À ma grande surprise, je ne tombe pas sur une danse de Charli D’amelio, mais sur une vidéo de la rappeuse Chilla ayant pour titre : « Il n’y a pas de femmes dans le rap ? ». Je reste alors bloquée sur cette question. Je cherche dans ma playlist : 4 rappeuses. Je n’ai que 4 rappeuses françaises alors que j’écoute du rap tous les jours. Alors que je connais une centaine de rappeurs, je ne connais pas beaucoup plus qu’une dizaine de rappeuses. Étais-ce seulement moi ? Évidemment que non. « Rappeuse », ce mot n'existe même pas dans le dictionnaire de mon ordinateur. De toutes les personnes à qui j’ai posé la question, deux réponses : Soit Diam's, qui n'a pas sortie de titre depuis dix longues années, soit Aya Nakamura qui n'est, soit-dit en passant, pas une rappeuse stricto sensu. D'où ma question : « Mais où sont passées les rappeuses françaises ? ». Trop discrètes ou invisibilisées par l'industrie musicale ? Une seule chose est sûre, il existe bien des femmes dans le rap français.
L’émergence des rappeuses
Que ce soit pour allier passion et business comme Ricky R, ou pour saisir une opportunité comme Chilla, toutes les raisons sont bonnes pour se lancer dans le rap. Que l'on soit une femme ou un homme. La musique ne met personne de côté. Ces dernières années, l’émergence du rap et sa popularisation n’a pas échappé à la gent féminine. Le nombre de rappeuses et de consommatrices de rap s’est visiblement multiplié.
Revoyons les bases comme Orelsan, avec l'introduction des femmes au rap. Leur arrivée s’est faite en même temps que les hommes, mais contrairement à eux, elles ne faisaient que les refrains chantés ou les accompagnements. Dans les années 90, les groupes comme IAM ou NTM étaient de cette même école. Les femmes n’étaient, la majorité du temps, même pas mentionnées dans les références. Par la suite, c’est la figure de Lady Lastee qui a pavé le chemin pour la célèbre Diam's. Cette dernière a donné une nouvelle dimension et résonance aux rappeuses. Sa carrière est souvent définie comme la consécration du rap au féminin. Aujourd’hui, les rappeuses sont, heureusement, de plus en plus prises au sérieux. Grâce à cela, le nombre de rappeuses s’est multiplié, ces dernières années, avec l’émergence des réseaux sociaux et du nombre de rappeuses auxquelles elles peuvent s’identifier !
Parmi les rappeuses francophones actuelles les plus suivies, on peut retrouver Shay, Chilla ou plus récemment Lala &ce. Ces noms ne vous disent rien ? Alors allez de ce pas voir le documentaire de cette dernière. Elle a participé à une émission, Reines, dans laquelle 5 rappeuses et des producteurs sont enfermés dans une villa pour enregistrer un son en 5 jours. 5 rappeuses aux histoires et parcours différents, mais liées par leur amour pour le rap. Des histoires, des personnalités, des raps distincts, mais elles vivent toutes la même expérience : être une femme dans l’univers du rap français. Le documentaire commence notamment avec un Planète Rap, émission qui représente un passage obligé pour les rappeurs français, dans lequel Fred, l’animateur radio, se confit : 99 % de ses invités sont des hommes. Toujours plus nombreuses, pourtant elles restent sous représentées dans l'industrie !
La rappeuse Lala &ce
Invisibilisation
Lorsque l’on nous demande le nom d’une rappeuse, on pense directement à Diam's. Difficile d’obtenir d’autres références dans le rap féminin… Et oui, ça se complique ! On a du mal à trouver ! Non, ce n’est pas parce qu’il n’y a peu ou pas de rappeuses, mais bien parce que, que ce soit à la télévision, à la radio, sur YouTube, sur Spotify ou encore dans les maisons de disques, les rappeuses ne sont pas mises en avant. On cite encore Diam's, 10 ans après l’arrêt de sa carrière (en 2014 environ), car aucune femme n’a depuis eu accès à ce statut.
Une Stigmatisation ? Est-ce lié au sexisme ancré dans l’univers de la musique ? En France, il semble renforcé dans le genre musical qu’est le rap. « Du rock de nana », « de la pop de fillette », ou « du jazz de meufs », ça vous parait bizarre non ? En revanche, du « rap de meuf », voire du « rap de fillette », on l’entend très souvent, notamment dans les commentaires de leurs clips. Qu’elles soient connues ou pas, les rappeuses font face à des critiques sexistes qui n’ont rien à voir avec leur musique.
Cette stigmatisation n’est pas propre au rap, mais elle s’est créée autour du rap « commercial », du rap « qui marche et qui vend ». Ce dernier met en avant une vision des femmes souvent secondaire. On objectifie, on met au second plan... et cela ne vous aura pas échappé on a une vision souvent plutôt misogyne. Ce rap parait majoritaire alors qu’en réalité, ce n’en est qu’une infime partie. Le problème ? La visibilité que l'on donne au "rap féminin". Le public n’est pas habitué à voir des femmes rapper et les clichés sexistes restent donc souvent de sortie : « trop douce », « trop vulgaire », « trop masculine », « Les femmes ne savent pas rapper ». Pourtant, si Diam's est si souvent citée, c'est bien que le rap n’est pas une question de genre, mais bien une question d'art. Les clichés sexistes ne devraient pas avoir leurs places dans la musique, les femmes rappent au même titre que les hommes, elles n’ont juste pas accès aux mêmes opportunités.
Des comparaisons constantes ? Que ce soit entre femmes ou encore avec des hommes, les rappeuses sont constamment les cibles de comparaisons. « On nous a toujours dit qu’une seule de nous pourra réussir », c’est le témoignage commun que l’on apprend du documentaire Reines. Les rappeuses confient qu’avant de se rencontrer elles avaient des a priori envers les autres et une sorte de retenu. Elles expliquent cela par le fait qu’on leur a toujours dit qu’il n’y avait de la place que pour une d’entre elles dans le rap. Elles sont comparées en continu et donc une sorte de compétitivité, s’est implicitement créée entre elles, sur les sources des discours sexistes auxquels elles font face. Ne parlons pas des fois où elles sont comparées sur tout sauf ce qui retourne de la musique. Or on ne compare que ce qui est comparable et leurs styles sont aussi divers que leurs personnalités.
Mises dans des cases ? Comme elles ont du mal à trouver leur place dans le monde du rap, dès qu’elles se démarquent un peu, elles sont mises dans des cases. C’est loin d’être un phénomène isolé dans le domaine de la musique. On peut prendre l’exemple de la chanteuse Angèle. Elle a tout de suite été mise dans la case de la « chanteuse féministe ». Elle a confié à plusieurs reprises avoir eu l’impression de devoir rendre des comptes aux personnes qui l’écoute et la connaisse, notamment lorsque son frère, le rappeur Roméo Elvis, a été accusé d’agression sexuelle. De même, Chilla a réalisé plusieurs chansons portant sur des sujets féministes comme « si j’étais un homme », « balance ton quoi », ou « Bridget Jones ». Elle aussi a évoqué avoir mal vécu le fait d’être seulement vu comme une rappeuse « féministe », d’avoir ce rôle attitré et qu’elle ne se sentait pas forcément légitime de l’endosser, tout comme Angèle le confiait. Les personnes ne la résumaient qu’à cela et l’attendaient au tournant. Elle se sentait presque prise au piège et on ne prenait plus au sérieux ses autres chansons.
On peut dire que les rappeuses sont trop vite stéréotypées, mais pas de la bonne manière… On les met dans la case « vulgaire », « sainte », au mieux celle de « femme », mais on ne prend pas la peine de les mettre dans la case de leur style musical.
Exemples de commentaires sous le Tiktok de Chilla
Comparaison avec l’étranger
Est-ce une exception française ? Il vrai que l’on connaît beaucoup de grandes rappeuses à l’étranger, surtout aux États-Unis avec Nicky Minaj, Doja Cat, ou encore Cardi B. Ces femmes ont réussi à poursuivre l’héritage de figures emblématiques tel que Lil’kim ou Missy Eliot. En France, on peut constater que cela a été plus compliqué. Même si elles font presqu’autant de ventes que leurs collègues masculins, ces grandes figures du rap américain, font, elles aussi, face à des problématiques similaires. Les critiques sexistes ne sont pas une spécialité française, Taylor Swift dans un autre registre, est par exemple constamment critiquée, peu importe les sujets qu’elle aborde. Cardi B n'est Cardi B que parce qu'elle n'est pas Nicky Minaj et vice versa. Dans une interview, Doja Cat disait alors « If you’re gonna interview musicians try to ask them about their music”. La tendance étant plus largement à la critique vestimentaire, aux gossips hollywoodiens ou aux questions sur des sujets ayant attraits à tout sauf au rap.
Et maintenant ?
Le constat est simple : il y a des femmes dans le rap. Il y en a plus d'une et chacune avec son talent et sa personnalité. Un petit conseil, ne laissez pas les algorithmes contrôler vos choix musicaux : allez tout de suite ajouter des rappeuses à votre playlist. Je vous assure que vous ne serez pas déçu !
Mes 5 chansons à checker immédiatement :
- Déjà un gros classique de la nouvelle scène : Shay – Notif
- Celle qui casse les codes : Lala &ce – Toxic
- Un indémodable : Sianna – Jreste quand même
- Retenez bien son nom : Roxaane – Bouge de là
- Une rappeuse lilloise (que j’ai pu rencontrer) super prometteuse : Yend – Billie Velour
La rappeuse Shay