Black Country, New Road : Le groupe anglais qui décolle les étiquettes !
C'est avec un rebond frénétique et une énergie urgente qu’au printemps dernier, il a pris possession de mon salon et de mon espace sonore. Autant dire que ça a eu un effet buff sur moi. Direct au plexus ! Dès les premières notes du titre hypnotisant Instrumental, Black Country, New Road, a pris mon pouls et m’a sorti de mon état léthargique post hivernal aux couleurs covidiennes.
En ces temps contraints, ressentir autant de liberté artistique dans la musique fait un bien fou. Une vague de groupes, menée par Fat White Family, suivi par Shame, Goat Girl, Dry Cleaning ou encore Squid, revitalise actuellement la scène rock britannique et comme un pied de nez au Brexit, celle-ci répand cette vitalité au-delà des frontières anglaises !
Le contrat semble clair pour cette nouvelle génération. Aucune intention de livrer une musique formatée et de se restreindre à un schéma codé d’avance. Et Black Country, New Road pourrait bien faire partie des meilleurs exemples de ce mouvement fascinant.
Ce septuor londonien s’est formé lorsque leur précédent groupe, Nervous Conditions, s’est séparé brusquement après que leur chanteur ait été accusé d’agression sexuelle. Suite à une période de flottement, ils se sont pour la plupart retrouvés, et une nouvelle formation est née avec un nouveau son, aussi connue sous le nom de BC, NR.
Bien que rarement vu dans un groupe de rock, le saxophone de Lewis Evans et le violon de Georgina Ellery (aussi chanteuse de Jockstrap) font partie intégrante de leur musique. Pour compléter la bande, le guitariste Isaac Wood est devenu le chanteur de cette nouvelle formation, le batteur Charlie Wayne est resté. Tyler Hyde est la bassiste, alors que May Kershaw est la claviériste. Seul Luke Mark, le deuxième guitariste de la bande, les a rejoint. Voilà, les présentations sont faites !
Bercés d'éloges après seulement 2 premiers singles, Athens, France et Sunglasses, leur réputation s’est gagnée avec leurs sets en live qui sont devenus légendaires en quelques mois, tout comme leurs compatriotes dinguement géniaux et survoltés, Black Midi.
C’est au début de cette année que ces 7 musiciens originaires de Cambridge, basés à Londres, ont sorti leur 1er album de 6 titres, For the First Time, qui dessine le contour de leur autoportrait en tant que groupe naissant. Depuis, et avec presque aucune fanfare, ils obtiennent les meilleures critiques.
Leur empreinte musicale est si puissante et profonde qu’il est difficile de s’en défaire. Écoute après écoute, elle a pour effet de nous transporter dans un monde parallèle où toutes sortes de ressorts jaillissent de partout, des tiroirs à double fond jonchent notre chemin d'écoute pour découvrir des cachettes remplies de trésors pour mieux révéler les nuances subtiles de leurs arrangements complètement barrés et nous livrer toute l'intensité dont regorge leurs chansons. Vouloir définir ces musiciens et leur son me paraît tout aussi acrobatique que la perception que j'ai de certains de leurs morceaux.
Ce sont des nomades, pour la plupart formés à la Guildhall School of Music and Drama, en quête de nouveaux territoires musicaux, désireux de les explorer et de les métaboliser dans leur ADN sonore. Ensemble, ils se sont taillés un antre avec des compositions expansives qui prennent l’ambiance saturée et nerveuse du post-punk avec des guitares grinçantes et hargneuses, alors que le saxophone diffuse des inflexions jazz intrigantes, les influences électro du clavier donnent des paysages sonores texturés qui se font ressentir tout au long de l’album. Et d’un coup, la violoniste et le saxophoniste s'imprègnent de traditions folkloriques et leur son rock expérimental bascule intensément au cœur d’une musique, celle de l’Europe de l’Est, le Klezmer, qui nous fait virevolter dans tous les sens.
Et si d’aventure, vous vous assoupissez, dites-vous bien que la patrouille des cordes et des cuivres accompagnée par la fidèle et solide batterie de Charlie Wayne vous rattraperont et vous feront tressaillir à nouveau. Si on considère qu’ils sont parfois comparés au groupe américain Slint, et si vous souhaitez un descriptif plus court, on peut reprendre les propos du chanteur Wood, qui ne manque pas d’humour et d'autodérision. Il dit dans une de leurs chansons, Science-Fair, qu’ils sont “le 2ᵉ meilleur groupe d’hommage à Slint au monde”. Par leur incursion free jazz et par l'identité vocale du chanteur, ils font aussi penser aux irlandais Robocobra Quartet.
Malgré la puissance et la sensation d'enchevêtrement des instruments dans les morceaux qui nous font froncer les sourcils, leur composition n’en demeure pas moins subtile. La contribution que chaque musicien apporte est hallucinante d’harmonie et en même temps de tension permanente. Ces styles disparates sont transformés en une musique d’une fraîcheur et d’une jeunesse exubérante, le produit d’un processus créatif transparent, où chacun apporte sa sensibilité et non son ego.
Leur truc est de jouer entre la tension et la libération. C’est venu du fait qu’ils s'ennuyaient de jouer des morceaux post-punk à la façon chaos en frappant simplement très fort sur les instruments - l’ennui a du bon - ça joue entre le crescendo, le moment suspendu et le relâchement. Ça a pour effet de nous happer et nous couper le souffle. BC, NR nous invite dans ce mouvement continu où ces 7 partenaires de jeu sont installés dans une conversation entre eux et c’est dans cet assemblage parfois cacophonique que chacun trouve son équilibre. Et ce phénomène crée une dépendance pour celui qui écoute leur musique.
Le 2ᵉ guitariste du groupe, à propos de cette histoire de tension, résume bien les choses en citant Hitchcock - quelqu’un lui demande combien de temps devriez-vous tourner une scène d’amour dans un film, le réalisateur répond “ Aussi longtemps que vous voulez, tant qu’il y a une bombe sous le lit”.
Dans ce récit musical s'intègre celui du chanteur Isaac Wood. Son écriture est une collision entre vie quotidienne, éléments de la culture pop et allusions littéraires. Cet adepte du Sprechgesang (parlé chanté) décline ses récits avec des perspectives narratives qui recèlent beaucoup de mystère, d’angoisse, d’interrogations, et de sentiments contradictoires. Ces performances vocales captivantes sont aussi anarchiques que fluides et que les instruments et leurs mélodies le sont.
Wood ne porte pas la proposition à lui seul en mode leader, c’est bel et bien ce microcosme qui prend la lumière et cherche sans cesse à faire évoluer les lignes d’un morceau. Il semble incontestable que ce groupe est à voir sur scène pour recevoir toute sa force viscérale. Son attitude scénique est déroutante, aucun attrait pour la posture, seule sa performance musicale compte.
L'écoute de l’album est incroyable. La longueur et la complexité des chansons comme Athens, France ou Opus leur permettent de démontrer leur habileté et de jouer avec différentes idées. Pour eux, il est plus facile de créer des morceaux de 8 minutes que 3 minutes. Ils disent ne pas être doués pour rendre les choses concises et faire comprendre ce qu’ils veulent dire en peu de temps. Dans un monde où tout va très vite et où on enchaîne tout un tas d'activités de manière compulsive, l'idée du slow movement peut être la bienvenue !
Dans la chanson, Opus, qui sonne comme un coup de tonnerre et qui clôture l'album, les paroles “What we built must fall to the rising flames”, apparaissent comme une annonce, la volonté de Black Country, New Road de passer à la suite.
Dans cette vision, il est plus question d’un feu de cérémonie qu’un feu de paille qui honore ce qui a été fait et qui annonce le renouveau. Après leur déclaration qu’un de leurs musiciens soit tombé malade, ce qui a eu pour conséquence d’annuler leur tournée européenne pourtant commencée, espérons qu’ils pourront pleinement reprendre le devant de la scène et nous présenter leur nouvel album puisque celui-ci, Ants From Up There, est déjà annoncé tout juste un an après la sortie du 1er album, c'est-à-dire le 4 février prochain.