Nekfeu : un ver(s) amoureux d’une étoile
Perdu dans son propre cosmos, Nekfeu a coupé tout contact avec notre planète depuis la sortie de son 3ᵉ album en 2019. Le chasseur d’étoiles vagabondes aux confins de l’infini en quête de ses origines. Perdu dans l’immensité du vide, on le croyait revenir en comète, mais finalement ce n’est que l’écho de sa lumière avec une réédition d’un album à un prix inadmissible (100 € selon les dires). Aujourd’hui on évoque une légende de la musique avec le regard d’un terrien passionné par les nébuleuses.
Chasseur de comète :
Lorsque j’ai écouté Nekfeu la première fois, je n’ai pas du tout apprécié. Aujourd’hui encore, je trouve son premier opus assez passe-partout et peu inspiré. Autant dire que son deuxième album Cyborg ne m’intéressait franchement pas. C’est donc après toute la hype bien tassée au fond de la mémoire collective que j’ai pris le temps d’écouter cette nouvelle proposition. Soyons honnête, c’est un météore !
Les sons méritent d’être étudiés tant l’assemblage des pièces relève d’une précision scientifique. Et plus encore que la musique, c’est l’ode qui y est délivrée que l’on retient. Tout ça nous conduit à l’annonce des étoiles vagabondes, avec une édition collector pour la somme dérisoire de 70 € en vinyle. Mais attendez, si vous voulez la version complète il va falloir sortir les oursins de vos poches. Car pour avoir l’objet dans son intégralité, il faut approcher les 100 € en vinyle et les 30 € en disque. Bien tendu, les quantités sont limitées ; ce qui conduit à des dérives avec des reventes sur Amazone ou eBay atteignant les 1000 € !
Alors, soyons clair ! Les artistes doivent évidemment avoir leur dû sur ce qu’ils créent. Cependant, il y a dans cette démarche de Nekfeu quelque chose qui dérange. Ces sommes ne sont pas acceptables d’un point de vue éthique. N’oublions pas que le public d’un artiste tel que lui est d’une fidélité sans failles. Demander de débourser autant d’argent pour soutenir un projet musical, c’est manquer de respect à l’amour que nous lui portons depuis ses premiers pas. Là est le problème, il n’y a pas de corrélation entre des messages transmis et l’attitude visible.
À chasser les comètes, l’artiste semble avoir oublié que ce qu’il cherche se trouve sous ses yeux : sa famille, ses amis, sa musique, ses textes, son art… Son public ! Il s’éloigne inexorablement de lui-même en quête du vide. Comme si l’absence d’air était l’unique remède à sa suffocation qu’il développe pendant l’heure et demie de son film. Le cosmos qu’il cherche se trouve en chacun de nous tous qui aimons tant l’homme que le musicien. Tous les astres que nous sommes forment la galaxie, qu’il tente de trouver pendant 34 titres.
Figer comme un poster :
Dès la première chanson, le rappeur nous dit que l’argent importe peu, qu’il ne s’écoute pas, qu’on ne l’entend pas et qu’il a l’impression d’être plus entrepreneur que chanteur. Il ira jusqu’à dire que le succès donne le sentiment d’avoir « salit ses parents ». Les propos sont d’une lourdeur intense. On sent un homme affaibli par la lumière des projecteurs. Un homme qui se sent étranger au monde dans lequel il évolue. Un homme qui ne se sent plus être. Lorsque aujourd’hui on voit les comportements de notre société avec les gilets jaunes, le Covid-19 ou les censures extrêmes de YouTube pour les créateurs de contenus ; Nekfeu semble avoir eu une projection juste de ce que serait notre futur. Le besoin de vie, de liberté, de considération ou tout simplement d’écoute n’a jamais été aussi fort qu’en ce moment. Visionnaire, le rappeur chasse les galaxies pour y trouver le nouveau monde. Une planète sans les hommes où la vie serait ce qu’elle doit être : l’équilibre naturel.
Dans cette 3ᵉ proposition, le chanteur parle énormément de la nature. Il s’inspire de la terre et de sa richesse pour se réincarner les pieds bien au sol. Du Japon, à la Grèce, aux États-Unis, à la Belgique et la France, il voyagera, ira cherche les sons, les couleurs, les textures, les odeurs du monde. Tout ça va s’entendre dans l’album, avec des cuivres, des cordes, des voix, de nombreux feat. Toutefois, il manquera toujours quelque chose. Un détail qu’il reproche à la société, mais que lui-même a oublié dans sa quête des zodiaques : du cœur.
Astronaute de la musique, il peine à trouver un nouveau système. Alors on a un album qui tente de remplir le vide qu’il ressent. Mais l’espace, c’est le vide à l’état pur. Sa musique manque de cœur. Coincé dans son image, il a besoin de s’embraser pour renaître de ses cendres. Mais là encore, il ne trouve pas de combustible. Les paroles défilent comme une météorite dans film de Michael Bay et rien n’explose. Tout reste figer dans son état à la dérive vers l’infini. Et c’est pour ça que j’ai tant aimé cet album (après de très nombreuses écoutes) !
En face :
Il faut du temps pour apprécier cet album, parce qu’il dévoile les faiblesses d’un Homme. Les étoiles vagabondes sont les douleurs, les larmes, les colères, les égarements de Nekfeu. On écoute le journal intime d’une personne qui se cherche comme au commencement de sa vie. Devant une foule de millier de personnes, la solitude qu’il éprouve est aussi dense que l’amas d’inconnus face à lui. C’est ce sentiment que l’auteur nous fait entendre dans ce projet. Et c’est exactement cette raison qui rend l’accès à son album si difficile. On est dans l’intimité la plus proche du chanteur. Or, ce n’est pas une habitude chez lui de se dévoiler ainsi. La déroute que cela provoque nous demande du temps pour retrouver l’équilibre. Puis, on peut pleinement apprécier les maladresses, les failles et les manquements du disque. Car nous comprenons alors que ce n’est pas l’artiste qui l’a composé, c’est Ken Samaras.
À visage découvert face à lui-même, Kaneki part à la recherche de son identité. On l’écoute marchant de planète en galaxie. C’est beau de voir un Homme devenir ! Il évoque son enfance, ses amours, ses déceptions, ses peurs de décevoir, ses forces qu’il puise dans ceux qu’il aime, sa gratitude envers ces mêmes personnes. Ce qu’il y a d’irrésistiblement passionnant dans cet album, c’est toute l’humanité qui s’en dégage. On est face à quelqu’un comme nous, qui nous demande de définir avec lui qui il est, qui nous sommes et ce que nous sommes tous ensemble.
L’industrie musicale est ce qu’elle est parce que nous lui donnons du grain à moudre. Mais regardons en face les choses ; il est possible de changer l’avenir. La vie n’est ni une question de trajectoire à suivre, ni une voie à définir. Nekfeu montre que tout est finalement une question d’être ! Mais cela signifie qu’il faut avoir le courage de se mettre face à nous même. Pour apprécier amplement la démarche du fennec, il nous tient de s’engager dans celle-ci. On comprendra alors deux idées fondamentales : la première, que la musique est un espace aux astres flamboyants infinis ; la deuxième, que les plus belles planètes qu’on pourra voir sont celles en chacun de nous.