Vivre son handicap en musique : retour sur les légendes musicales handicapées
Après avoir maté Sound of Metal, je me suis posé la question de la place du handicap dans la musique. En faisant quelques recherches, je me rendis compte qu’il existe un certain nombre de dispositifs permettant aux malentendants d’apprécier la musique (des sols spécialisés pour conduire les vibrations pendant les concerts par exemple). Mais surtout, je me suis rendu compte que beaucoup de musiciens célèbres sont handicapés, alors que pour beaucoup d’entre eux, ils sont des légendes de leurs domaines.
Il est vrai que dès qu’on parle de handicap, on se dit souvent que la personne qui en est atteinte est “moins capable” ou en tout cas “moins apte” à faire de la musique. Pourtant, ayant des personnes handicapées dans mon entourage, je me suis toujours dit que ce n’était pas vrai, qu’il suffit en réalité de s’y prendre différemment. Mon vécu relatif à ce sujet et la sortie du film Sound of Metal font une occasion rêvée pour aborder le sujet du handicap dans la musique en revenant sur ces musiciens légendaires qui étaient (ou sont) handicapés.
Le plus célèbre d’entre eux est probablement Beethoven. Tout le monde sait que ce bon vieux Ludwig était atteint de surdité. Depuis 1796, c’est-à-dire à l’âge de 26 ans, il prend conscience qu’il ne lui reste plus beaucoup d’années pour profiter de son ouïe. À 30 ans, en 1800, il est complètement sourd. Ses dernières compositions furent des quatuors, dont le dernier fut écrit en 1826. Le gars a composé pendant 26 ans alors qu’il n’entendait plus rien.
On ne sait pas vraiment d’où provient sa surdité, car, à l’époque personne n’a su diagnostiquer le problème (manque de spécialistes du sujet), mais une hypothèse serait une labyrinthite d’origine intestinale, soit une lésion de l’oreille interne, la cause la plus probable étant la syphilis, même si rien ne prouve que Beethoven en ait été atteint.
Je parlais au début de dispositifs spéciaux pour les personnes malentendantes, et en particulier des sols de salles de concert permettant de mieux conduire les vibrations liées à la musique. Ben ça, Beethoven l’avait compris il y a 200 ans : on raconte qu’il composait par terre avec un piano sans pied pour mieux ressentir les vibrations.
Un autre handicap relativement courant et lié à la perte d’un sens est la cécité. Entre Ray Charles, Stevie Wonder et notre Gilbert Montagné national, c’était dur de passer à côté. Stevie Wonder par exemple porte assez bien son nom. Aveugle de naissance, il est signé à l’âge de 11 ans et est propulsé en tête des classements à 12 ans. Pour Ray Charles, c’est quand même une autre mayonnaise : après avoir vu son frère se noyer à l’âge de 5 ans, il devient aveugle à 7 ans (à cause d’un glaucome), son père meurt quand il en a 10 et encore cinq ans plus tard il perd sa mère. Ouais, la vie y est allée un peu fort sur son cas (et je passe sur son addiction aux drogues dures et sur le violent racisme dont il a été victime).
Il semble en réalité que la musique aide les personnes malvoyantes à surmonter leur handicap. Et ça, ça ne date pas de Ray Charles : il y a déjà longtemps que la musique fait partie intégrante de l’éducation des malvoyants. Autrefois, les églises avaient l’habitude d’engager des organistes aveugles. On considère même que la musique est un des seuls domaines où il n’y a presque pas de différence entre une personne voyante et une personne déficiente visuelle.
Des musiciens aveugles, il y en a plein, et il semble donc que ça ne soit même pas “vraiment handicapant” quand il s’agit de faire de la musique. Du coup, je me suis demandé ce qui serait le pire pour un musicien...
… Et c’est à ce moment-là que je suis tombé sur l’histoire d’un guitariste qui a perdu l’usage de deux doigts de la main gauche : Django Reinhardt. Le roi du jazz manouche, prodige de la guitare à treize ans, a été victime d’un incendie en 1928, alors qu’il avait 18 ans. Retour à la case départ donc, mais le jeune Django ne se démonte pas et invente une nouvelle technique de jeu à trois doigts qui lui fait mériter encore plus sa place à la table des guitaristes légendaires.
Et cette histoire-là en a inspiré plus d’un. Tony Iommi par exemple, qui n’est autre que le guitariste de Black Sabbath, est amputé de deux doigts de sa main droite (accident de presse hydraulique) et reprend espoir en entendant l’histoire de Django Reinhardt. Sa solution à lui fut de remplacer ses cordes de guitares par des cordes de banjo (plus souples) et de se fabriquer des prothèses qu’il fixe au bout de ses doigts raccourcis.
En parlant de membres en moins, il y en a un qui est allé encore un peu plus loin. Rick Allen, le batteur de Def Leppard, perd un bras dans un accident de voiture à l’âge de 21 ans. Inutile de vous expliquer pourquoi sa carrière de batteur en prend un coup. Mais ses collègues de Def Leppard refusent de le laisser tomber dans la dépression et le mettent au défi de garder sa place au sein du groupe. Rick, joueur, conçoit alors une batterie électrique spéciale lui permettant de jouer avec un bras en moins. Ça fait 25 ans qu’il joue comme ça, et il est considéré comme l’un des meilleurs batteurs au monde.
Enfin, il y a un handicap qui m’a toujours beaucoup intrigué et que je voulais absolument aborder dans cet article. Je vais pas trop vous raconter ma vie, mais mon meilleur pote est bègue. J’ai toujours trouvé ça fascinant de voir à quel point il pouvait buter sur chaque mot pendant une discussion, mais quand il fait du théâtre, par exemple, son bégaiement disparaît complètement.
En partant de cette observation, je me suis demandé si ça marche aussi pour d’autres maladies. Du coup, je me suis très vite intéressé à la maladie de Gilles de la Tourette. Et, turns out, Billie Eilish est atteinte de cette maladie.
La maladie de Gilles de la Tourette, ou syndrome de Gilles de la Tourette, est un trouble neurologique caractérisé par des tics moteurs et vocaux. Quand on voit quelqu’un qui en est atteint, c’est difficile de s’imaginer qu’il ou elle puisse faire de la musique. Cette maladie est due (entre autres) à une hyperactivité des neurones de la substance noire, lieu de production de la dopamine (en réalité on ne connaît pas le mécanisme précis à l’origine de ce syndrome, mais ceci en est la cause neurologique la plus probable, à laquelle il faut ajouter des facteurs génétiques et environnementaux).
Je vais pas me la jouer neurologue du dimanche, mais d’après un chanteur atteint de cette maladie (Jean-Baptiste de son nom), quand les personnes atteintes de ce syndrome font de la musique, du théâtre ou tout autre art scénique, elles se mettent en mode “performance” ce qui permet de calmer, de réguler cette hyperactivité, ce qui explique pourquoi Billie Eilish, comme tout autre artiste atteint de la Tourette, n’a aucun tic pendant qu’elle chante.
Bon, il y a énormément d’artistes dont je n’ai pas parlé. Mais la conclusion de cet article est évidemment que handicap et musique ne sont pas du tout opposés. Dans beaucoup de cas, ils vont même plutôt bien ensemble. Je n’ai d’ailleurs pas trop abordé la question du handicap mental car le sujet est beaucoup trop large pour être traité ici, mais de nombreuses études ont été faites, par exemple, sur le rôle bénéfique de la musique (à travers la musicothérapie) dans l’éducation des enfants autistes.
J’imagine que je n’ai pas à vous convaincre des vertus thérapeutiques de la musique (a priori si vous avez lu cet article, c'est qu’on est plutôt d’accord sur la question) mais ce qui est important, c'est que, pour faire écho au film Sound of Metal qui traite notamment de l’isolement lié au handicap, la musique, c'est avant tout de l’inclusion et du partage. L’inclusion dans la société est certainement un des enjeux les plus importants quand il s’agit de handicap. Parce que nous sommes tous égaux dans nos émotions, quoi de mieux que la musique, ou que l'Art en général, pour intégrer ceux qui en ont le plus besoin ?