Sound of Metal : introduire la surdité dans le monde des entendants
Sound of Metal, le dernier film du scénariste de The Place Beyond the Pines, Darius Marder, sort mercredi prochain. Avec six nominations aux Oscars dont deux récompenses (Meilleur montage et meilleur son), je dois dire que j’avais très hâte de le voir. Chez Janis, on a eu la chance de le voir en avant-première, on l’a trouvé mortel, donc on en parle.
Ben oui : je veux bien parler de films de temps en temps, mais déjà il faut que ça ait un rapport avec la musique et surtout il faut que je l’aie vu. Alors dans son immense bonté, Tandem, la boîte qui distribue le film, m’a permis de le visionner avant tout le monde. Je dois vous avouer que je me sens comme un Philippe Manœuvre recevant en exclu le dernier album des Stones.
Mais bon, je suis pas Philippe Manœuvre, et vu que l’ami Hugues voulait le voir au cinéma, je me suis calé au bureau entre midi et deux, avec un gratin dauphinois et une cuisse du poulet (4,90€ chez Casino, je vais pas dire que c’est bon, mais ça dépanne), et j’ai maté le film.
Avant toute chose, je vous garantis un article sans spoil et surtout une opinion en toute subjectivité influencée par une connaissance relativement moyenne du 7ᵉ Art. Comme ça, on part sur de bonnes bases.
Commençons par le début. Sound of Metal, c’est l’histoire de Ruben, un batteur de métal américain qui arpente les États-Unis en enchaînant les concerts avec sa partenaire (de vie comme de scène), Lou. Pour la faire courte, Ruben commence à être gêné par des acouphènes et, très vite, il devient sourd. Inutile de préciser que sa vie s’en trouve un peu chamboulée. J’en dis pas plus, ça devrait être assez pour vous intriguer.
À la base, je croyais que c’était une œuvre sur la musique, à la Whiplash par exemple. En fait, pas du tout. C’est un film sur la surdité, mais aussi sur l’isolement, symbolisé par le van dans lequel les deux personnages se blottissent (enfin je crois… Je vous ai dit que je m’y connais plus en musique qu’en cinéma ?)
Le tout premier aspect du film qui m’a surpris : les sous-titres. Au début, j'ai cru que c’était Tandem qui m’avait envoyé la mauvaise version, mais non. Le réalisateur a tenu à ce que le film soit accessible à tous les publics : les dialogues sont donc tous sous-titrés et l’ambiance sonore est décrite à l’écrit. Les entendants et malentendants peuvent alors partager la même expérience, dans la même salle, devant le même film. Car comme le précise son réalisateur, Sound of Metal est un hybride entre un film et un documentaire sur la surdité.
Sound of Metal, c’est d’abord un film : une fiction dans les règles de l’art, avec des acteurs, des décors, un scénario. Mais c’est aussi un documentaire parce qu’il y a cette volonté, en premier lieu dans le sound design (réalisé par l’ingé son préféré de ton ingé son préféré, Nicolas Becker), de permettre aux entendants d’expérimenter ce que vit une personne malentendante. C’est “cette idée d’introduire [la] notion de surdité dans le monde des personnes entendantes”, comme le dit Darius Marder.
De prime abord, tout ça m’a beaucoup fait penser à Baby Driver, que j’aime particulièrement pour son sound design assez léché. Mais là ça va quand même plus loin. Plus qu’une manière de styliser le film, on nous propose une véritable expérience à travers le travail du son.
Bref, c’est le genre de film qui nous laisse cette impression d’avoir fait plus que regarder un film. En tant que public, on le vit. L’ambiance sonore permet une immersion totale dans le voyage de Ruben - chose renforcée par la réalisation très intimiste, avec beaucoup de plans serrés et une distance focale souvent longue. Mais parlons un peu musique tiens.
Je suis assez friand de ces films et de ces réalisateurs qui ont demandé un peu plus aux acteurs que d’apprendre leurs textes. J’ai pleinement conscience que Stanley Kubrick était pas un gars très équilibré, mais quand on me dit qu’il a refait 127 fois de suite une scène de Shining, il y a une part de moi que ça fascine. Ça rajoute un je-ne-sais-quoi de mythique au film quand on sait que le tournage n’a pas été comme les autres. Là, pas d’abus de ce genre, mais le réalisateur tenait par exemple à ce que ses deux acteurs principaux, Riz Ahmed (Ruben) et Olivia Cooke (Lou) apprennent la musique.
Il souhaitait tellement que le duo soit immergé dans le film que dans la scène d’ouverture, un concert où Ruben et Lou jouent ensemble, ce sont bel et bien les deux acteurs qui jouent devant un vrai public, sans plan de coupe, sans doublure. Un risque énorme, exacerbé par le fait que le film est tourné à la pellicule, donc sans le confort des coupes que le numérique permet. “Je suis prêt à prendre tous les risques, quitte à échouer, pour toucher l’authenticité”.
En regardant cette histoire se dérouler sous mes yeux, je me suis rendu compte qu’il n’y a pas beaucoup de moments dans ma vie où je n’écoute pas de musique. Je travaille en musique, je dors en musique, je me lave en musique, bref, je vis en musique (en même temps, je bosserais pas chez Janis sinon). Et là, pour la première fois de ma vie, un réalisateur a réussi à me faire contempler le silence.
J’irais encore plus loin. Je dois sûrement pas être le seul, mais ça m’arrive parfois de me demander ce que je ferais si je devenais sourd. Quel est le dernier morceau que j’écouterais ? Comment pourrais-je vivre sans musique ? À la fin, la réponse est souvent la même : je me suis toujours dit que je me suiciderais, probablement par folie ou par chagrin. Après avoir vu ce film, je ne suis plus du tout sûr de ça.
Porté par un duo de comédiens dévoués à leurs personnages, dont la dynamique d’interdépendance et de complémentarité façonne l’intrigue, Sound of Metal m’a mis une petite claque derrière la tête, autant d’un point de vue visuel qu’auditif. Parce qu’évidemment, au-delà du sound design, la réalisation est irréprochable et le jeu bouleversant. L’authenticité à laquelle aspire le réalisateur, les difficultés que se sont imposées les équipes et surtout le talent de toutes les personnes qui ont pris part à cette œuvre créent un “film-expérience” proprement époustouflant.
Étrange pour un media musical d’aborder un film sur la surdité, n’est-ce pas ? Pourtant, on le fait. Probablement parce que si le noir n’existe pas sans le blanc, la musique n’existe pas sans le silence.