We Will Always Love You de The Avalanches : Convoquer les morts pour faire danser les vivants
Qu’ont en rapport des bruits terriens envoyés dans l’espace en 1977, Eye In The Sky du mythique Alan Parsons Project, Tricky star du trip hop (et ancien membre de Massive Attack), le prodige de la soul Leon Bridges et les sons d’un code morse ? A priori pas grand-chose, sinon que le mélange, sur le papier, donne l’impression de sortir tout droit de la pipe d’un fumeur de crack, la nuit, place Stalingrad à Paris. Tout cela, c’était sans compter le génie des samplers australiens de The Avalanches.
Le groupe n’est plus à présenter. Après la sortie en 2000 du mythique Since I Left You, leur premier album aux accents pop, soul et hip-hop électro aux plus de 3500 samples, (plus blindé que Lance Armstrong c’est dire), les colleurs fous Robbie Chater et Tony Di Blasi avaient remis le couvert avec la sortie seize ans plus tard de Wildflower, succès aussi commercial que leur premier opus bien qu’un peu moins encensé par la critique. Avec une productivité qui ferait pâlir Mark Kozelek (Sun Kil Moon), le duo ne revient que 4 ans plus tard. Enfin, duo, voilà qui est vite dit. Le nouvel album ne compte pas moins de 24 artistes, collaborateurs directs.
We Will Always Love You est un ovni qui a fait ma rencontre dès sa sortie en décembre 2020. Pour une fois où l’algorithme YouTube faisait bien son travail, entre deux vidéos de chats briseurs de vaisselles, la vidéo du titre éponyme débarquait sur l’écran de mon portable encore cassé. L’époque n’était pas à la joie, comme chez beaucoup, la COVID 19 commençait à me taper sur le système et un membre familial important venait de partir. Alors que le moral était au plus bas, quelle ne fut pas ma surprise de retomber sur le sample d’une de mes chansons favorites, la splendide Hammond Song sortie en 1979 par le groupe féminin The Roches, mais corticoïdée à l’électro, à la soul et aux extraits de Smokey Robinson dans le titre éponyme.
Ce collage art-pop n’appartient à aucun genre, aucun style capable de nous transporter aussi bien dans une boîte de nuit avec We Go On ou Music Makes Me High, dans une rue d’Harlem avec Take Care In Your Dreaming, ou au volant d’une voiture avec Gold Sky et la voix lo-fi de Kurt Vile. L’album s’amusait de moi, cathartique, ménageant de beaux moments d'émotions comme peuvent l’être Song For Barbara Payton et ses intonations soul, ou les trop courts Solitary Ceremonies et Dial D For Devotion, convoquant les fantômes d’artistes disparus pour faire danser les vivants, paradoxe absolu d’un opus de plus d’1h qui parle de la mort, mais transpire la vie.
Paradoxe aussi d’un album aux influences et participations multiples, accessible au public et pourtant si personnel ; et qui relira dans la mémoire de chacun des morceaux de vie à des instants de musique. Une véritable déclaration d'amour au public et aux mélodies. S'il ne devait rester qu'un album, archive des écoutes terrestres, ce serait celui-là.
Qui a dit que la musique ne pouvait pas être sophistiquée et pour autant accessible ? Ce disque ravira autant les geeks musicaux, que les danseurs alcoolisés ou les nostalgiques. Un disque produit par des terriens, la tête dans les étoiles, à destination d'un d’ailleurs, d’un autre temps et d’un autre espace.
Rangez votre homéopathie, voilà un disque à consommer sans modération et pas à coup de deux petites billes sucrées par jour.