Without You, l’histoire tragique du tube des Badfingers

A la fin de l’été 1993, Mariah Carey s'apprête à sortir son troisième album Music Box. Porté d’abord par le single Dreamlover puis propulsé dans les charts US et Canadiens par Hero, c’est sa reprise de la chanson Without You qui fera s’envoler sa carrière internationale. Cependant, 20 ans auparavant, c’est Harry Nilsson qui profite de l’heure de gloire qui lui est accordée avec sa version de Without You, ce qui lui vaudra même de remporter le Grammy Award de la meilleure performance Pop masculine. Il semble donc que ce tube amène quiconque le chante à la célébrité ? Et bien très ironiquement, ce ne fut pas le cas pour les auteurs du titre, Pete Ham et Tom Evans, du groupe gallois Badfinger. Retour sur l’histoire d’un succès au destin tragique.

Des débuts prometteurs
 

Nous sommes en 1968 lorsque Badfinger signe son arrivée chez Apple Records, le label des Beatles. Initialement appelés The Iveys, les gallois changeront de nom pour Badfinger, en référence au nom de maquette de With A Little Help From My Friends, des Beatles, qui se nommait alors “Badfinger Boogie”, lui-même en référence à John Lennon qui se blessa un doigt en jouant du piano, ce qui le força à ne jouer que d’un doigt. Étant le premier groupe à signer sur le label, Ils travaillent dès 1970 sur leur troisième album studio intitulé No Dice. Conçu en étroite collaboration avec Mal Evans, ancien roadie du Fab Four, le disque sera très bien reçu par la critique et sera porté par le single No Matter What.
 

Mais un autre titre de l’album ne connaîtra pas le même sort. Pete Ham et Tom Evans travaillent sur deux chansons, issues de l’imagination de l’un et l’autre. L’un travaillait sur un titre appelé If it’s Love mais trouvait que cela manquait d’un refrain puissant et entêtant tandis que l’autre composait une chanson n’ayant justement qu’un refrain can’t live if living is without you. Les grands esprits se rencontrèrent et naquit alors Without You, la power ballade rock amoureuse par excellence. Paul McCartney, qui produisit certaines chansons du groupe gallois, décrira Without You comme “The killer song of all time”. Mais malgré l’appui et le soutien du Fab Four, rien n’y peut, rien n’y fait, il faudra attendre 1972 pour que les choses bougent enfin.

 
 

Without Them
 

Harry Nilsson, grand fêtard et ami du duo Lennon/McCartney, (oui encore eux !) entendra Without You pour la première fois lors d’une fête à Laurel Canyon en 1971. Il pensa même qu’il s’agissait d’une chanson des Beatles ! Comme le monde semble bien fait pour certains artistes, Nilsson apprend que les Badfinger sont en contrat avec Apple Records et leur soumettra alors une démo de sa version de ce qui semble être un tube prometteur. Plus poignante et dramatique, la reprise de Nilsson plaît. Cependant, c’est après l'intervention du producteur Richard Perry (à qui l’on doit l’émergence du groupe féminin Fanny) que la reprise de Nilsson mute en une ballade déchirante, à l’orchestration grandiose. 

 

Une légende urbaine affirme même que c’est après avoir enregistré Without You que la voix d’Harry Nilsson fut à jamais abîmée. Bien que l’on puisse rapprocher ce soudain changement de timbre à celui de Bob Dylan dans les années 80/90, celui de Nilsson n’est dû qu’à des années d’abus de substances en tous genres et aux années passées avec John Lennon. En effet, le point de rupture pour ses cordes vocales est attribué par certains à une soirée trop arrosée durant laquelle lui et Lennon s'adonnent à des concours de prouesses vocales dans un micro.

 

1973, une descente aux enfers commune
 

Cette année-là, les Beatles n’étaient plus quatre garçons dans le vent, mais quatre hommes en plein divorce. Suite à la séparation du groupe en 1970, Apple Records fît faillite et Badfinger, qui devaient alors toucher les royalties engrangées par le succès planétaire de Harry Nilsson, ne percevront jamais cet argent. Débuta alors une descente aux enfers pour les gallois, Pete Ham sombrant peu à peu dans une dépression profonde suite aux difficultés rencontrées par le groupe et le succès n’étant pas là où ils l’espéraient. C’est alors dans un contexte tragique que Pete Ham se donne la mort en 1975, à l’âge de 27 ans, étant au passage l’un des grands oubliés du très fermé “club des 27”. La cicatrice de sa mort hantera le groupe jusqu’à ce que son partenaire, Tom Evans, se suicide à son tour en 1983, ce qui signera définitivement la fin de Badfinger. Le groupe de Pete Ham ne connaîtra le succès que des décennies plus tard au travers de la série Breaking Bad, dans laquelle Vince Gilligan déterre la chanson Baby Blue, pour clôturer son chef-d'œuvre télévisuel. 

 

Quant à Harry Nilsson, le succès et la célébrité le firent tomber dans la spirale infernale de l’alcoolisme, sa carrière et sa santé ne s’en remettront jamais. Il mourra à l’âge de 52 ans, le 15 janvier 1994, 2 semaines avant la sortie du Without You de Mariah Carey, sûrement la version la plus connue à ce jour.
 

La renaissance 
 

En 1994, Mariah Carey atteint le sommet des charts du monde entier avec son interprétation grandiose de Without You, expliquant ainsi son choix de reprise : “J’ai toujours aimé Without You quand j’étais petite, et je me souviens qu’elle me faisait toujours pleurer et je pensais sans cesse à quel point c’était une jolie chanson.”. Elle ajoute : “Je l’ai à nouveau entendue quand j’étais dans un restaurant, il l’a jouait en musique de fond, et je me suis dit “j’adore cette chanson, c’est tellement une bonne chanson, je ne l’avais pas entendue depuis des lustres.” et j’ai décidé que j’en ferais une reprise, Ce que j’ai fait.” 

 

Depuis devenue un standard de la musique, elle fut notamment reprise par la chanteuse italienne Mina (sous le titre Per Chi), Shirley Bassey, Heart ou même Richard Anthony en France, sous le titre Sans toi. En 2021, elle figure même dans le nouveau classement des 500 meilleures chansons de tous les temps selon le Rolling Stone Magazine.