Klaus Nomi, à la découverte de la « Castafiore du rock
« Qui es-tu, Nomi ? ». C’est exactement la question qu’on a tendance à se poser lorsqu’on tombe sur la pochette de son premier album. Une couverture d’une sobriété absolue, froide, grise, blanche et noire, et l’homme nous observant, l’air hautain, sanglé dans son smoking triangle plastifié. Un alien, bien plus alien qu’Aladdin Sane, un mec débarquant d’une autre planète, sans l’ombre d’un doute. Chanteur à succès à l’aube des années 80, je vous propose aujourd’hui de partir à la rencontre de Klaus Nomi, la « Castafiore du Rock », et figure culte.
Nomi nait Sperber, il naît en 1944 en Allemagne et passe ses premières années dans les décombres de Berlin-Ouest. Il grandit sans son père, décédé lors des combats, mais vit avec sa mère, qui provoquera chez lui un premier électrochoc musical. Il en parle dans The Nomi Song, excellent documentaire lui étant consacré, « Il y avait toujours eu cette collision entre l'opéra et la pop. Petit, j'ai piqué des sous à ma mère pour m'acheter King Creole d'Elvis Presley. Ça l'a mis hors d'elle, elle déteste le rock'n roll. Elle me l'a confisqué et m'a donné un Maria Callas à la place. Depuis, j'ai toujours été écartelé entre ces deux extrêmes. ».
Elvis et la Callas, deux inspirations, aux antipodes d’une de l’autre
Ainsi, ses deux passions sont le rock’n’roll, et l’opéra. Et Klaus a de quoi assumer cette deuxième passion, puisque doté d’une voix magnifique, à la tessiture très étendue, mêlant avec aisance et naturel baryton-basse (grave) et contre-ténor (aigu, et assez rare chez les hommes). Il entreprend donc des études musicales, au Deutsche Oper, et se produit pour la première fois à Berne, en Suisse, dans le cadre d’un opéra de Mozart, Bastien Und Bastienne.
Le jeune Klaus, chanteur d’opéra/ Bastien Und Bastienne
Mais l’Allemagne ne correspond pas aux rêves de Klaus, il rêve d’Amérique… et c’est ainsi qu’il s’envole vers New-York, en 1972. Il se fond assez facilement dans la faune locale, perdu entre les freaks et les artistes de tous genres, héritiers de la Factory de Warhol et en manque de reconnaissance. Mais s’il s’épanouit, cela ne veut pas dire que la vie est facile, ses premières années américaines étant marqué par plusieurs petits boulots, plongeur dans les restaurants ou pâtissier (car oui, la pâtisserie est un des autres grands talents de Klaus Nomi, ses amis disant encore aujourd’hui le plus grand bien de ses tartes au citron). Il utilise l’argent gagné pour se payer des cours de chant, afin de sans cesse perfectionner sa voix, si particulière.
Klaus évolue avec aisance dans l’underground new-yorkais, et commence à se produire dans les cabarets, les clubs. Il est remarqué puis enrôlé par le New Wave Vaudeville Show, un cabaret des plus spéciales présentant des artistes exceptionnels (dans tous les sens du terme). On y croise des robots, des nazis, des esclaves égyptiens, des pianistes, des stripteaseuses, des drag queen… au milieu de cette clientèle, Klaus parait bien banal. Mais le récit de ses prestations révèle le contraire :
Le spectacle new wave permanent/ Klaus, à l’époque de ses premières prestations américaines.
«Le rideau s'ouvre et le projecteur s'arrête sur une présence étrange, surnaturelle, portant une robe noire, une cape de Dracula en plastique transparent et des gants blancs. Tandis que retentit Mon Cœur s'ouvre à toi, le refrain de Samson et Dalila, de Saint-Saëns, cette étrange version Weimar de Mickey Mouse commence à chanter avec une voix angélique […]. Une fois l'aria terminée, des bombes fumigènes explosèrent sous des flashs stroboscopiques, dans le son assourdissant d'un vaisseau spatial sur le point de décoller. » (Steven Hager).
De petite taille, Klaus impressionne tout le monde et continue de se frayer un chemin dans le milieu des clubs de la grosse pomme. Le timide Sperber se voit remplacé par l’exubérant Nomi, tout droit débarqué d’on ne sait où, extraterrestre saisissant, tant par son aspect que par ses vocalises baroques, Nomi, anagramme d’Omni, magazine américain de science-fiction, dont Klaus était féru. Enchantant les spectateurs par ses arias au synthé, ou par ses reprises peu conventionnelles de standards des années 60, Klaus Nomi est déjà une référence, même avant l’enregistrement de son premier album.
Nomi, et sa veste transparente/ Omni, 1979/ Klaus et ses amis
C’est ainsi que David Bowie le remarquera en 1979, et lui demandera de l’épauler lors d’un Saturday Night Live où il devait se produire. Ils reprendront ensemble The Man Who Sold The World, « TVC 15 » et Boys Keep Swinging, et Nomi fut assez impressionné par le costume de Bowie, smoking de plastique, d’inspiration dada des années 30, empêchant d’ailleurs le Duke de bouger ses jambes (Nomi et l’autre choriste, Joey Arias, en robes moulantes, devront le porter pour qu’il puisse accéder au micro).
À présent équipé du smoking de Bowie, Klaus espère avoir à présent une certaine visibilité, pouvant lui permettre de signer un contrat discographique. Mais les maisons de disques rechignent, trouvant le personnage et ses prestations « trop gay » selon des amis proches de Nomi. C’est ainsi que Klaus commence à s’enfoncer dans une certaine déprime, magnifique et exubérant sur scène, seul et triste dans la vie réelle. Bien que déjà une superstar dans le milieu arty de Manhattan, Nomi reste seul, et commence à fréquenter les lieux de drague gay.
Costume iconique, et verso du premier album/ Klaus, en mauvaise posture…
Il finit par signer avec RCA, la maison de disque de Bowie, sous pression de la branche française de la firme, convaincue du potentiel de l’homme. Klaus se sépare de ses anciens musiciens pour virer complètement new wave. C’est un changement dans son esthétique, devenant ainsi froid et gris, comme la pochette de son premier album, évoqué plus haut. Il vient se produire en France, et fascine totalement, TF1 lui consacrant même un portrait au journal. C’est ici que Nomi connut le plus de succès, les gens, jeunes comme vieux, se retrouvant dans l’interprétation habitée de ses titres new wave ou de ses arias.
Le premier album, éponyme, sorti chez RCA en 1981
La fameuse interview française …
Ce premier album est fantastique, empruntant tant à Kraftwerk, à Blondie ou à Saint-Saens. Du premier titre, Keys Of Life à l’envolée d’un étrange aéronef à la fin du Samson and Delilah, tout est absolument fascinant. Klaus manie les titres pop (You Don’t Own Me ; sa reconstruction atypique de The Twist, classique yéyé des années 60, popularisé par Johnny Hallyday ; Lightning Strikes) et les titres issus du répertoire classique The Cold Song, issu d’un opéra de Purcell ou le magnifique Samson And Delilah de Camille Saint Saens, repris par Muse en hommage à Nomi) avec une facilité et une cohérence effrayante. C’est un vrai classique, malheureusement indisponible en streaming, mais rien ne vous empêche de vous rendre chez votre disquaire préféré …
Cold Song, certainement le titre majeur de Nomi
Total Eclipse, prestation live de 1981
Nomi sortira un second disque, Simple Man, plus brouillon car enregistré dans l’urgence. Il continue sur les traces du premier avec plus de reprises d’opéra à la sauce new wave, dont Didon et Enée, de Purcell toujours, ou le bouleversement Death.
Simple Man, le deuxième album, 1982
Sa tournée mondiale est auréolée de gloire, et ses deux albums cartonnent, mais Nomi ne pourra vraiment profiter de sa notoriété. Amaigri, fatigué, il se gave d’antibiotiques, de piqûres pour retrouver sa voix, perdue, et se retrouve cloué à l’hôpital, gravement malade. Les médecins ignorant la nature de son infection, Klaus d’éteint seul dans sa chambre le 6 juin 1983, atteint, comme d’autres gays new yorkais, du SIDA. Par peur de la contamination, aucun de ses proches n’est venu le soutenir.
Nomi fut une étoile filante dans le monde de la pop, ayant réussi un grand exploit, rattacher le rock’n’roll à la musique classique. Son influence est encore très grande aujourd’hui, Lady Gaga comme le chanteur M se réclamant de lui. Un des premiers morts du SIDA dans le monde musical, Klaus Nomi continue d’intriguer, de passionner, et c’est ainsi que sa légende et son influence, méconnus, mais indéniables, se poursuivent.