Il y a 100 ans, rockait Trixie Smith
En septembre 1922, la chanteuse de blues américaine Trixie Smith (1895-1943) fait partie des premières à utiliser les mots « Rock » et « Roll » dans une chanson, bien avant l'arrivée du rock'n roll dans le paysage musical.
Certes dans les années 1920, ce n'est pas la toute première fois que les termes « rock » et « roll » se font entendre dans le jazz, ou dans le blues, par-ci par-là, mais là, avec Trixie Smith, c'est différent. Sa chanson My Man Rocks Me (With One Steady Roll), ou variante avec My Daddy Rocks Me [...], est considérée comme l'une des premières œuvres à contenir ces deux mots et ne va pas forcément passer crème. Et pour cause, on est en 1922, faut se remettre dans un contexte historique américain où le blues et le jazz « dévergondent » la jeunesse au grand dam des parents estomaqués par ces sons nouveaux, ces danses et ces paroles à la limite du salace. Bon d'accord souvent complètement salaces !
On s'arrête quelques instants sur l’œuvre My Man Rocks Me (With One Steady Roll) ? Allez ! Composée par James Bernie Barbour en 1922, elle est enregistrée par Trixie Smith cette même année sous le label Black Swan Records. D'abord, on découvre le rythme balancé au tempo modéré de la batterie, le phrasé jazzy du piano (avec une basse chromatique descendante, comme dans Hit the Road Jack, t'sais) et les solos chaleureux-sexy de la clarinette et de la trompette équipée d'une sourdine. Ambiance. Mais, venons-en au fait, de quoi parle cette chanson ? De balancement justement. En gros, Trixie nous explique à quel point son mec sait s'y prendre. À chaque strophe, l'horloge avance et son plaisir s'intensifie.
Au premier couplet, il est 1 heure, elle lui propose de s'amuser un peu. Deuxième couplet, il est 3 heures « Papa, tu me tues ! ». Troisième couplet, « Papa, tu connais plein de trucs », il est 6 heures, ainsi de suite jusqu'à ce que l'horloge sonne dix coups et qu'elle crie « Gloire ! Amen ! ». Aucun doute, Daddy est divin et c'est avec assurance que Trixie interprète ces paroles suggestives.
Ainsi, on l'a bien compris, le terme « rock'n roll » signifie faire du sexe en argot américain. Voilà aussi pourquoi le style ne fait pas l'unanimité auprès de tout le monde. Déjà que dans les années 50 les parents sont en PLS à l'écoute d'un Chuck Berry ou à la vue d'un déhanché d'Elvis « Pelvis », alors en 1922, ils sont pas prêts, of course. Donc, merci à Trixie Smith d'avoir contribué à l'introduction du terme avant même que le style n'arrive sur les ondes !
Pour aller plus loin : en 1940, cette chanson audacieuse est reprise sous le nom de Six Appeal de Benny Goodman Sextet (hé hé). Pas de voix, un titre uniquement instrumental au tempo plus rapide, plus swing où l'on peut apprécier le génie de Charlie Christian à la guitare, de Benny Goodman à la clarinette, de Lionel Hampton au vibraphone, de Dudley Brooks au piano, d'Artie Bernstein à la contrebasse et de Nick Fatool à la batterie. Une tuerie :
My Man Rocks Me... est aussi samplée par le groupe d'électro-hip-hop Smokey Joe and the Kid dans son titre The Game (à 1'07min) en 2014, dans la lignée de Chinese Man, Wax Tailor..., écoute bien :
Une petite anecdote pour conclure sur le talent de la jeune fille : toujours en janvier de cette année 1922, elle remporte le concours de blues féminin au Manhattan Casino de New York, le « Blues Contest », avec son morceau Trixie's Blues.
Lourd !