Hérouville, rock’n’roll castle
Electric Lady, Power Plant, Abbey Road, Trident … Tous ces studios sont légendaires pour les morceaux qui ont vu le jour là-bas, et font rêver bien des musiciens et mélomanes… Mais saviez-vous que l’Hexagone a lui aussi son studio de légende ? À quelques kilomètres de Paris, à Hérouville-En-Vexin, bienvenue au château d’Hérouville, mythique endroit dont je vais vous parler aujourd’hui.
La bâtisse du XVIIIᵉ siècle est d’abord connue pour avoir abrité les amours de Frédéric Chopin et de George Sand, que l’on ne présente plus. Ce détail est important puisque les deux studios d’Hérouville porteront le nom des deux artistes.
En 1962, le compositeur de musique de films Michel Magne cherche un endroit calme pour travailler, loin du tumulte de la capitale. C’est dire que l’homme est connu, on lui doit les B.O. de films cultes comme Les Tontons Flingueurs ou Fantômas. Le château, pratiquement à l’abandon, le séduit, et il l’achète en copropriété avec son ami le peintre Dragomir. Après le décès accidentel de celui-ci, Magne devient le propriétaire à part entière de l’endroit.
Michel Magne & sa compagne Marie-Claude
Suite à un incendie ayant ravagé l’aile Nord, abritant la salle de musique originelle, Magne décide la construction d’un tout nouveau studio. Mais devant l’énormité des frais engagés, il décide également l’exploitation commerciale du lieu. Le studio Strawberry a une particularité, puisqu’ Hérouville-En-Vexin se situe loin de Paris, il propose aux clients la restauration sur place, ainsi que la possibilité de rester dormir, c’est ainsi le deuxième studio au monde à proposer ce concept de “studio résidence”. Il innove également en proposant un studio mobile 16 pistes,le premier en France, utile à l’enregistrement des lives.
Les débuts sont d’abord difficiles, malgré la réalisation de quelques albums aujourd’hui cultes comme Camembert Electrique de Gong, mais l’originalité du lieu attire vite des artistes de renommée internationale comme Marc Bolan et son groupe T-Rex, Elton John (qui surnommera l’endroit Honky Château, comme son cinquième album !), David Bowie (qui reviendra par la suite) et Pink Floyd (ici pour enregistrer la B.O. du film La Vallée, un disque intitulé Obscured By Clouds). Notons aussi le concert surprise du Grateful Dead aux habitants du petit village du Val-D’Oise, les membres du groupe ayant eu l’excellente idée de glisser du LSD dans les verres de champagne…
Bowie/Ziggy, et Elton John durant une furieuse partie de tennis de table …
Cela concerne la première partie de l’existence du studio, considérée comme “impériale”, l’endroit fonctionnant en quasi-permanence. Cependant, Michel Magne est tout sauf un gestionnaire, et son entreprise s’enfonce rapidement dans la spirale des difficultés financières.
Il signe un accord avec Yves Chamberland, propriétaire du studio Davout à Paris. Il lui cède son entreprise endettée contre un franc symbolique, mais reste propriétaire des murs du château. Chamberland devient plus rigoureux sur l’accueil, restreignant les excès historiques de Michel Magne, cela n’étant souvent pas au goût des artistes, David Bowie se plaignant par exemple de manger trop de lapin et de pommes de terre durant son premier séjour à Hérouville.
Finalement, le nouvel administrateur jette l’éponge, récupère son matériel (dont les consoles d’enregistrement) et s’en va. Le château vivote, et le parc est laissé à l’abandon. C’est ici que Laurent Thibault entre en scène. L’ex-bassiste du groupe Magma est convaincu par Michel Magne de reprendre les rênes du studio. Après une rénovation du château, les activités reprennent fin 1974. Marc Bolan revient, les Bee Gees arrivent, ils enregistreront d’ailleurs leur fameux hit Stayin’ Alive à Hérouville, dans les escaliers du château, et le groupe du guitariste de Deep Purple, Ritchie Blackmore, Rainbow, qui y réalise Long Live Rock’N’Roll en 1978.
Les Bee Gees et T-Rex ont fréquenté le studio …
Également, en 1976, Bowie revient à Hérouville, accompagné d’Iggy Pop. Les deux hommes sont épuisés, et cherchent un endroit pour se ressourcer en continuant à travailler. La carrière d’Iggy est en pause depuis le dernier album des Stooges, Raw Power de 1973, tandis que Bowie vient de terminer une grosse tournée, Isolar, promouvant son dernier album, l’excellent Station To Station. Il est cependant en prise avec une addiction à la cocaïne et un personnage envahissant, le Thin White Duke, sans doute l’incarnation la plus sombre du bestiaire bowien. Iggy et Bowie élaboreront deux albums révolutionnaires au château, j’ai nommé The Idiot et Low, sortis tout deux en 1977.
Iggy Pop et Laurent Thibault/ Scène de vie avec Bowie.
L’Iguane et le Caméléon ont marqué le château par leur passage.
À l’heure du punk, les deux artistes inventent la cold wave. Néanmoins l’enregistrement des deux albums est tout de même bien différent, The Idiot étant marqué par une bonne ambiance générale, et l’emploi de musiciens français comme Michel Santangeli à la batterie ou même Laurent Thibault à la basse, tandis que Low est marqué par la mésentente entre Thibault et Tony Visconti, le producteur de David.
Hérouville a aussi longtemps abrité Jacques Higelin, qui y réalisera tous ses albums entre 1974 et 1985, et qui y habitera même. Il accueillera aussi quelque temps un Marvin Gaye perdu, en plein exil européen, où il travaillera sur quelques titres que l’on pourra retrouver sur son dernier album, Midnight Love. Le groupe anglo-américain Fleetwood Mac est également tenté par le dépaysement que propose le paisible village d’Hérouville-En-Vexin. Il y réalisera Mirage, sorti en 1982, et l’enregistrement fut naturellement marqué d’excès en tout genre, si caractéristique du Mac me direz-vous, comme le changement du papier peint de toutes les chambres ou la venue d’un professeur d’avion téléguidé (!) pour enseigner au groupe ce noble art… Notons aussi les différents véhicules expédiés dans les fossés environnants par un Mick Fleetwood en parfait état.
Fleetwood Mac (1982) et Marvin Gaye(1978) à Hérouville
Mais la situation financière du château continue de plonger… Finalement, Laurent Thibault est forcé de déserter les lieux fin juillet 1985. Le studio retombe dans un relatif abandon, et est finalement remis en vente en 2013.
Cependant, bonne nouvelle ! Le château d’Hérouville est racheté en janvier 2015 par trois passionnés de musique, et un projet de renaissance des studios voit le jour. Après une énième rénovation (et la participation des habitants du village pour la remise en état du parc), il rouvre finalement à partir de 2016, et a déjà accueilli plusieurs artistes pour des enregistrements live, comme Sting ou Metronomy.
Publicité pour le Strawberry Studio
Le château d’Hérouville est extraordinaire pour son ambiance, son folklore (on raconte en effet qu’un fantôme hante le château…), et la magnificence de certaines des choses réalisées là-bas. Il contraste des autres studios d’enregistrement pour l’ambiance familiale qu’il semblait y régner: fêtes, dîners tous ensemble autour de la table, ping pong, piscine… ces éléments n’empêchant pas un professionnalisme indéniable de la part des équipes du château. La plupart des artistes y étant passés témoignent d’excellents souvenirs à Hérouville, espérons que, grâce à sa récente réouverture, cela puisse se prolonger à jamais. Personnellement, j’aimerais bien y faire un saut, un de ces jours… et vous ?
Le studio mobile
Un petit florilège d’albums ayant été enregistré au Château d’Hérouville…