Ces concerts qui ont dégénéré
Quand on aime la musique, le meilleur moyen de la vivre sans en faire, c’est encore d’assister à des concerts : le son, parfois moins lisse que sur les supports enregistrés – c’est encore plus vrai pour le rock qu’on aime un peu « crade »- l’ambiance moite, le verre de bière et les gens qui sautent en cadence est difficilement reproductible dans un salon et c’est toute la sève de ces moments. À l’image de ce son un peu abîmé, un concert ne se déroule pas toujours comme prévu et certaines dates sont restées dans les mémoires pour leur virage… inattendu.
Jim Morrison et l’atteinte à la pudeur
1er mars 1969, Floride : Les fans des Doors sont présents en nombre malgré la jauge de la salle que l’organisateur n’a pas souhaité respecter : tout le monde attend. Avec plus d’une heure de retard, Jim Morrison arrive enfin, mettant un terme à l’intro de Break On Through que ses musiciens jouent en boucle pour lui laisser le temps de monter sur scène.
Il arrive dans un état second, imbibé d’alcool et lutte à aligner trois mots… Ses fans sont ahuris et face aux quelques bribes de paroles que Morrison tente de chanter, ils sont perplexes. La tension monte d’un cran lorsque le chanteur se met à alpaguer le public en déversant un discours amer et provocant de l’ordre de : « vous n’êtes qu’une putain de bandes d’abrutis » … puis « vous n’êtes pas venus pour le rock’n’roll hein ? » … « Vous voulez voir ma b*** c’est bien pour ça que vous êtes là ? ». Ambiance.
Et joignant le geste à la parole, il se déshabille. Aucune photo aucune vidéo ne permettra de vraiment savoir ce qui s’est passé sur scène, les témoignages allant de la « simple » exhibition à des comportements nettement plus obscènes, mais l’histoire fait le tour de la presse et occasionnera à Morrison un procès pour « ivresse publique, comportement indécent, nudité publique et outrage aux bonnes mœurs » qui ne sera définitivement clôturé qu’à la mort du chanteur, en 1971.
Gainsbourg et les paras
Janvier 1980, pour la sortie de son album Aux armes et cætera, Gainsbourg arrive à Strasbourg, accompagné de ses choristes jamaïcains. Sa reprise de l’hymne national version reggae n’est pas du goût de tous et bien qu’il ait pu la jouer dans plusieurs salles auparavant, l’ambiance à Strasbourg est franchement hostile et des associations de militaires parachutistes font tout pour que son concert n’ait pas lieu : interventions auprès du maire, du préfet, appels à la police pour annoncer « du grabuge » si l’affront d’une Marseillaise selon eux parodiée est maintenu. L’hôtel dans lequel ils sont installés fait même l’objet, à leur arrivée, d’une alerte à la bombe qui oblige la sécurité à sortir tout le monde.
Poussé par son entourage, Gainsbourg accepte de ne pas conserver le concert tel qu’il devait avoir lieu, il tient à protéger son équipe et son groupe. La salle est pleine et d’anciens parachutistes d’extrême-droite présents l’attendent de pied ferme : il dispense donc ses musiciens et ses choristes et annule le concert, mais ne s’avoue pas pour autant vaincu et monte sur scène seul, où il entonne La Marseillaise a capella, dans sa version classique.
Pris de court, les paras, dispersés dans la salle, pourtant prêts à en découdre, se mettent au garde à vous et le public se met à chanter : si le concert n’a pas lieu, Gainsbourg réussit à sortir de la situation la tête haute et sans esclandre… mais probablement dégouté de la tournure des événements, il quitte la scène en faisant un bras d’honneur à ses détracteurs.
Altamont le concert de l’enfer
On termine par un concert des Stones tristement célèbre : le festival d’Altamont, au cours duquel un spectateur a été assassiné. Pour replacer un peu l’événement dans son contexte : on est peu de temps après Woodstock. L’absence des Stones leur a été reprochée, de même que le prix du billet de leur précédent concert. Pour tenter de redorer leur blason, ils se mettent en tête d’organiser un grand concert gratuit. L’idée est, dans le prolongement de Woodstock, de proposer un évènement bon enfant sur la côte ouest, mais les choses ne vont pas se dérouler comme prévu.
Le choix du lieu pose déjà des difficultés logistiques : après l’échec de la location des deux premiers emplacements envisagés, les organisateurs se décident, à la hâte, pour un circuit de courses de voitures situé à Altamont (Californie), « un bled paumé de chez paumé » comme dira Keith Richards plus tard. Tout est négocié, conclu et annoncé au public moins de 48 h avant le début des concerts.
Les infrastructures sont installées mais, dans la précipitation et en raison du manque de moyens, il manque des tentes, des toilettes et surtout, ce qui, sur le papier, ne s’annonçait pas idiot, s’avère explosif : la sécurité est confiée aux Hells Angels. On aurait pu croire aux bienfaits de l’effet dissuasif que peut avoir leur présence sur place, mais au lieu de fonctionner comme un garde-fou, ce « service d’ordre » va vie se révéler plus dangereux que sécurisant. Pour pimenter un peu les choses, il est prévu qu’ils soient rétribués en bière.
On a donc vu mieux comme casting et organisation de départ… Le déroulement des concerts ne va faire que confirmer cet enfer : dès la fin du concert de Santana qui ouvre le bal, tout part en vrille : des spectateurs aux organisateurs, en passant par le fameux service d’ordre, tout le public subit l’effet de la chaleur, de l’alcool et des substances consommées.
Pendant le concert des Jefferson Airplane, leur chanteur Marty Balin veut porter secours à un spectateur qui se fait tabasser par les Hell’s Angels, il se prend un coup de billard sur la tête et perd connaissance.
Les Grateful Dead qui ont pourtant contribué à organiser l’évènement se défilent et annulent leur prestation et Crosby Still Nash & Young acceptent de monter sur scène mais se contentent du minimum syndical avant de quitter les lieux en hélico. Le tour des Rolling Stones arrive…
Les titres se succèdent dans une atmosphère électrique, tout le monde se bouscule et l’un des spectateurs, Meredith Hunter, cherchant à se rapprocher de la scène est contré à deux reprises par les Hell’s Angels. Selon les différentes versions, lors de sa seconde approche, Meredith brandit un pistolet et est frappé de plusieurs coups de couteaux par un Hell’s Angel.
Il décède quelques minutes plus tard, à l’écart de la scène où se déroule toujours le concert des Stones. À l’issue du festival, que les médias commenteront dans un premier temps de manière plutôt positive, le bilan est désastreux : on dénombre 4 morts au total, et les musiciens qui y ont participé en gardent un souvenir amer. Neil Young en dira même qu’il s’agit de l’un des concerts les plus déprimants dont il puisse se souvenir.
En me documentant sur le concert d’Altamont, qui était le point de départ de mon envie de faire cet article, j’ai réalisé qu’au-delà de l’anecdote, c’est un véritable pan de l’histoire de la musique qui s’est joué : un docu et deux bouquins au moins ont découlé de cet événement. Le sujet est passionnant et pourquoi pas essayer de vous en faire une petite série chez Janis… stay tuned !