Le sens caché des paroles de chansons de Blues
Si je parle de sens caché, c’est surtout au moment de la sortie des morceaux. Aujourd’hui, près d’un siècle après la sortie de certains albums. Les textes ont été compris et les sens aussi. Mais ça ne fait pas de mal de se replonger dedans. Pour le plaisir, évidemment.
Avant toute chose, je vais te parler du Hokum. C’est un style de blues américain qui utilise des termes euphémistiques (c’est peu dire.), pour faire des insinuations sexuelles. Avec des thématiques au parfum de racisme, de misogynie et de sexisme. Joyeux cocktail.
Il y a, évidemment, des chansons au texte sans filtre. À titre d’exemple, Lucille Bogan en a écrit une intitulée Shave’em dry (rasez-les à blanc.). Une chanson tellement osée, qu’elle a utilisé le pseudonyme « Bessie Jackson », pour ne pas ruiner sa carrière. Là, il ne s’agit ni de double sens, ni de sens caché. Mais plutôt de sens propre (Ou sale. C’est selon). Tout est frontal. Voici un extrait :
« I got nipples on my titties big as the end of my thumb,
I got somethin’ ‘tween my legs
‘ll make a dead man come »
(J’ai des tétons au bout des seins, gros comme le bout de mon pouce.
J’ai quelque chose être les jambes.
Qui ferait jouir un homme mort).
Difficile de recopier ces mots, sans m’assurer que personne ne regarde par-dessus mon épaule. Mais c’est important de savoir d’où on part. Entre les chansons bien comme il faut (et un peu emmerdante) des crooners et les textes comme ceux de Lucille Bogan, se cache un monde, connu à l’époque uniquement de quelques privilégiés.
La plupart des métaphores utilisées, prennent forme à travers des objets du quotidien, d’apparence très inoffensive (du sucre, du miel, du café, un balai, du pain, des beignets…), à priori, on est plus proche du registre de la recette de cuisine que de la partie de jambe en l’air.
Les premiers disques de blues ont été enregistrés par des femmes. Une des pionnières de ces enregistrements était Mamie Smith. De son surnom : « Queen Of The Moaners » (la reine des gémisseuses). À son époque, c’était un compliment. Elle avait un style vocal plus léger et plus doux que la plupart de ses contemporaines, ce qui rend les mots qu’elle chantait de ces notes aiguës, encore plus choquantes.
Quand Bessie Smith chante sa solitude « i need a little sugar in my bowl, i need a little hot dog on my roll" (j’ai besoin d’un peu de sucre dans mon bol, j’ai besoin d’une saucisse chaude dans mon petit pain.). Elle ne parle bien évidemment pas de son prochain repas, mais plutôt de ses besoins sexuels, qu’elle cherche à assouvir.
Lonnie Johnson, parle dans sa chanson He’s a jelly roll baker, d’un brave boulanger qui prépare des beignets à la confiture. Vous me voyez venir. Il ne s’agit pas du récit des exploits culinaires du boulanger (même si ce genre de récits trouve son public). Mais pour l’initié, le « jelly roll », est un mot argotique pour désigner la vulve. Ce qui ne rentre à priori pas dans le champ lexical du monde de la boulange.
Il en va de même pour le classique de Muddy Waters I’m your hocchie coochie man. Un « coochie », désigne également une vulve. Le vilain.
Toujours dans le registre du classique : « Boom, boom ». John Lee Hooker, n’envisage pas (contrairement à Hendrix dans Hey Joe), de tirer sur sa femme. C’est plutôt une suggestion (discrète ?) du vacarme causé par des rapports sexuels, passionnels. L’avantage, c’est que ce n’est pas puni par la loi, contrairement à un assassinat. Et c’est bien plus fun.
Une des chansons les plus célèbres de la légende Bo Carter, a pour titre : Please Warm My Weiner, “weiner” étant un mot argotique pour “pénis”. Une chanson qui n’est ni plus ni moins, que l'ancêtre du “Netflix and chill”.
Et finalement, The back door man de Howlin Wolf, désigne un homme qui s’échappe de la porte arrière de la maison de sa maîtresse, à l’arrivée du mari. Les plus audacieux, disent qu’il s’agit en fait d’une métaphore de la sodomie. Les deux images se valent, à vous de choisir votre version.
La liste des compositeurs de blues est bien plus longue. Mais ces quelques artistes sont une bonne porte d’entrée pour s’initier et se familiariser à ce mécanisme de narration.
Les figures de style qui prédominent sont les métaphores alimentaires. Elles ont toujours été un excellent moyen de faire une chanson sexuelle, sans avoir l’air trop provocant. Le résultat donne généralement, soit un disque à succès, soit une mauvaise chanson qui est drôle à chanter au karaoké. Ce qui est déjà pas mal.
La période du blues original (années 1920-1930), a généré certaines des chansons les plus “sales” jamais enregistrées, dont certaines auraient du mal à dépasser la censure, même aujourd’hui. Et ce, malgré une période peu permissive (ségrégation, censure, prohibition….) les censeurs, n’avaient pas conscience de l’ampleur du chantier à venir.
Il y a une explication à ce phénomène à contre-courant. Les « Noirs » américains de l’époque ont été encouragés à enregistrer des chansons comme celles-ci par un public majoritairement « blanc » qui avait des idées très précises sur la façon dont ils les percevaient. C’était une époque violemment raciste, dépourvue de mixité ethnique. La communauté des Américains, blancs, a développé une série de fantasmes autour des communautés afro-américaines. Fantasmes, basés sur des clichés véhiculés principalement à cause d’une méconnaissance de l’Autre. Le paradoxe, réside dans le fait que même si l’Amérique blanche détestait l’Amérique noire, elle était de plus en plus fascinée par sa culture et ses pratiques. Notamment les fêtes sans fins dans les juke points du Mississippi (genre de bars à l’ambiance tamisée et aux mœurs légères) qui contrastent pas mal avec celle des bals dansants. Joli paradoxe. Mais revenons à notre musique.
Les musiciens noirs étaient généralement très adeptes d’un large éventail de styles musicaux, mais les maisons de disques de l’époque leur conseillaient de se concentrer sur le blues parce que c’était ce qui se vendait le mieux. Les interprètes ont également été persuadés d’écrire sur les thématiques les plus obscènes possibles. Une image de marque qui restera attachée aux premières heures du blues.
C’est une partie de l’histoire de la musique, qui reste indissociable de son contexte socio-culturel. Bien que ce phénomène était peu connu, il fut (re) découvert dans les années 60 et 70, avec l’émergence de groupes de rock comme les Beatles et les Rolling stones, qui ont basé le début de leurs carrières sur des reprises de chansons de blues.
Vous êtes partis pour écouter une belle playlist, dont les morceaux révèlent de nouveaux sens à chaque écoute. Ce qui est sûr, c’est que vous n’écouterez plus jamais ces chansons de la même façon.