Frank Zappa : Sex, Drugs-free & Rock'n roll
Au novice qui écouterait du Zappa pour la première fois : non, cette musique complètement cinglée n'est pas du tout le résultat de séquences dépravées d'allumés sous LSD, cannabis ou autres psychotropes tant répandus dans les sixties. Figurez-vous que chez Zappa : la drogue, c'est mal. Et celui qui avait le malheur de se pointer en répète, les yeux éclatés de type « je reviens de la piscine » prenait la porte sans demander son reste. Ça dégage !
Maintenant que le cadre est posé, la musique de Zappa peut alors être envisagée sous un autre angle. Celui du travail, mais en même temps des délires musicaux – influences tous azimuts – de private-jokes, de punchlines engagées, de textes sans filtres et de virtuosité musicale incontestable. Autant dire qu'il faut tenir la route physiquement et garder l'esprit clair pour assurer en studio ou en live. Faire partie de la team Zappa impose en effet un bagage instrumental et vocal solide, mais aussi un sens de la dérision et du lâcher prise. C'est un job à temps plein, les auditions sont extrêmement pointues (T'es batteur ? Ah ouais, ben joue moi la « Black Page » pour voir...), les 8 heures de répètes par jour ne sont pas un mythe et le rythme est encore plus intensif en tournée. Tout ça avec une aisance scénique décomplexée, déguisements ou accessoires improbables, et interactions déjantées avec le public.
Il est vrai qu'à en regarder les jaquettes de disques ou leurs looks crados de freaks peace & love, l'amalgame est plausible. Zappa et ses Mothers of Invention se fondent bien dans le décor de l'époque. Proches de Janis Joplin, Jimi Hendrix ou Jim Morrison, les acolytes du guitariste le plus moustachu de L.A, n'évoluent pourtant pas dans la même dynamique et pour cause : Zappa n'a pas tellement l'esprit fumeux des hippies.
Premièrement : pour lui, l'usage de stups ou d'alcool est inutile et relève de l'assujettissement. Il le dit lui-même dans le chapitre 12 de son autobiographie : « Les Américains consomment la drogue comme si cela leur délivrait un permis spécial d'être des abrutis », en gros : ils font n'imp' et se justifient en lendemain de soirée d'arguments aussi profonds que « ouais mais j'étais bourré aussi haaannnn» et ça passe crème… Bon, après, tous ceux qui veulent ajouter que « oui mais lui, il fumait des clopes H24 » ont sans doute raison, car pour Zappa le tabac, c'est sa nourriture, avec le café. Mais au moins, cela ne l'empêchait pas de réfléchir avec lucidité.
De deux : jouer défoncé dénaturait sa géniale musique, et ça, c'était non négociable. Si le musicien n'est pas en mesure – ah ah – de jouer ce que Zappa exigeait, il était remercié. On parle quand même du petit guitariste de rythm'n blues parti de rien dans les années 60, devenu rockstar, qui a fait jouer sa musique par les plus grands chefs d'orchestres du monde (Pierre Boulez, Kent Nagano et autres Zubin Metha) et collaboré avec tous les (futurs) grands noms du game (Steve Vai, George Duke, John Lennon, Tina Turner, Sting...). Bref, le rock psychédélique, non, le rock ferrugineux, oui ! (Bourvil, pour ceux qui n'ont pas la réf).
Pour ce qui est de la partie sesque du fameux triptyque, Zappa est loin d'être innocent et a eu son lot de problèmes, comme tout musicien hors des clous de la société bien pensante américaine. Il suffit de regarder son succès auprès des groupies comme Pamela Des Barres et ses copines « Plaster Caster » (je vous laisse chercher ce que c'est), de lire les critiques choquées des paroles jugées subversives et décadentes, mais surtout d'écouter le contenu de ses enregistrements dont certains lui vaudront plusieurs procès. Et même, 10 jours de prison ferme pour « association de malfaiteurs à visée pornographique » - le jeune Zappa fut en réalité pris dans un guet-apens tendu par un flic véreux alors qu'il enregistrait tranquillement dans son studio des copines hilares simulant des pratiques sexuelles et de faux grincements de lits pour un projet artistique, certes pas super ficelé ! Pour les titres les plus connotés, on peut faire un petit tour du côté de Dinah Moe Hum, I have been in you, Make a Sex Noise, Titties'n Beer, Be in my video, The Wet T-Shirt Contest ou le fameux G-Spot Tornado, pour n'en citer que deux-trois.
Pour résumer, si vous êtes en manque de textes incisifs, de musiciens virtuoses, de polyphonies déroutantes, sur fond de rock bien loin d'être académique et étonnamment clean de toute emprise illégale, vous allez être servis : Zappa va vous mettre bien et à toutes les sauces. Anything Anytime Anyplace For No Reason At All, comme il dit, voilà de quoi en déboussoler plus d'un !