Forrest Gump : une épopée musicale
Aujourd'hui, on célèbre la bande son du film culte aux 6 Oscars sorti en 1994, qui retrace la vie d'un homme attachant et plus intelligent qu'on ne peut le penser. Incarné par Tom Hanks (Hallelujah!) Forrest Gump est un film qui voyage à travers plusieurs époques charnières des États-Unis et qui regorge de pépites des années 50 à 80, voyageant entre rock, folk, pop et soul, de Jimi Hendrix à Lynyrd Skynyrd en passant par Aretha Franklin.
Et dire que ce chef-d'œuvre de Robert Zemeckis aurait pu rester au stade de scénario au fond d'une boite. Inspiré d'un livre écrit par Winston Groom, (beaucoup de choses ont été modifiées pour le scénario) ce bouquin est beaucoup moins prenant et le rythme est plus lent que dans le film. Un mauvais départ donc pour motiver la Paramount, maison de production du film. De ce fait, ils avaient décidé d'en faire un film à moyen budget, et une somme dérisoire avait été dédiée à la bande son. Mais quand Zemeckis a proposé le film avec la bande son que l'on connait aujourd'hui, il était impossible pour la Paramount de l'imaginer autrement. Nominée pour la meilleure bande son, elle ne remportera malheureusement pas d'Oscar face au bulldozer du Roi Lion et Hans Zimmer en 1995.
Pour commencer, il faut tout de même parler des créations originales d'Alan Silvestri. Dès les premières images du film, avec cette plume qui atterrit doucement aux pieds de Forrest, on y entend quelques notes toutes douces au piano et les violons qui introduisent le personnage sur son banc. Tout aussi marquant, le moment où Forrest se met à courir et se libère de ses attelles, porté par un orchestre symphonique. Bien d'autres musiques suivront, mais c'est celle du générique de fin que je retiens, qui est un petit condensé de la bande originale du film.
Bien que l'on ait droit à une reprise envoutante de Blowin in the Wind par Jenny (d'ailleurs malheureusement plutôt appréciée pour sa prestation scénique que vocale) il était impossible de parler de ce film sans évoquer une scène mémorable, et c'est quand les pales de l'hélicoptère et les premières notes de guitare de Fortunate Son se mettent à résonner. Bien qu'à l'origine le titre du Creedence Clearwater Revival soit un hymne anti-guerre, il accompagne ici l'arrivée de Forrest et de son ami Bubba au Viet Nam. S'ensuit à la radio les Four Tops et le Respect d'Aretha Franklin pour la rencontre avec le lieutenant Dan, merveilleusement interprété par Gary Sinise. On les retrouvera un peu plus tard avançant sur un chemin en pleine jungle Vietnamienne sur la reprise de All Along the Watchtower par Jimi Hendrix, scène en réalité tournée à quelques kilomètres de la maison d'enfance de Forrest en Caroline du Sud pour une question de budget. Après des semaines de pluie intensive au rythme des Doors et de Buffalo Springfield, Forrest est rapatrié aux États-Unis et se découvre un talent pour le ping pong, accompagné d'un petit concentré de ce que les Doors savaient faire de mieux : Hello I Love You, When you're Strange et Break on Through s'enchaînent en l'espace d'une minute seulement .
Après avoir été reçu à la maison blanche par le président Lyndon B. Johnson sur l'air de Mrs Robinson de Simon & Garfunkel, Forrest retrouve par hasard Jenny à une manifestation contre la guerre du Viet Nam. Elle le présente à ses nouveaux amis, des membres du parti Black Panthers dont l'un d'eux est un peu trop violent avec elle, ce qui fera entrer Forrest dans une colère noire et le tabassera dûment sur Hey Joe de Jimi Hendrix. Après une nuit à rattraper le temps perdu, Jenny préfère repartir le lendemain avec son "ami", alors que Forrest aurait souhaité qu'elle reparte chez elle en ... ALABAMA !!
Tout au long du film, Forrest fera la rencontre de plusieurs personnages historiques en tapant l'incruste sur des images d'archives. S'il rencontre des figures politiques comme les présidents John Kennedy ou Richard Nixon, qu'il poussera d'ailleurs indirectement à démissionner de ses fonctions en déclenchant par hasard le scandale du Watergate, il partagera surtout un plateau télé avec John Lennon. Et c'est pendant l'interview (en VO) que Forrest donnera l'inspiration à l'ancien membre des Beatles pour écrire Imagine, en répondant par ce qui sera les paroles de sa chanson : "No possessions / No religion too / It's easy if you try".
Gamin, il inspira aussi un jeune chanteur montant du nom d'Elvis Presley pour son déhanché en dansant avec ses attelles, et c'est d'ailleurs l'acteur Kurt Russell qui prêta sa voix pour chanter Hound Dog du King.
Énième, et dernière chanson des Doors (promis), Jenny qui décide enfin de s'enfuir de l'emprise de son ami sur le son de Love Her Madly, pendant que Forrest et le lieutenant Dan fêtent le nouvel an 1972 au rythme de Canned Heat et Let Work Together. Il ira ensuite à la maison blanche, encore une fois, pour rencontrer le président des États-Unis d'Amérique, encore une fois, mais Nixon cette fois-ci, au son de Raindrop Keep Falling on my Head. Il tiendra aussi sa promesse envers son ami Bubba, en rendant visite à sa famille et en devenant capitaine de crevettier avec le lieutenant Dan sur un chant de Gospel. Après avoir gouté à la cocaïne dans un club au son funky de KC and the Sunshine Band, nous retrouvons Jenny, à deux doigts de se jeter d'un balcon, sur le fabuleux et interminable solo de Free Bird de Lynyrd Skynyrd. Elle est d'ailleurs accompagnée d'un homme en plein fix d'héroïne qui ressemble étrangement à Billy Powell, claviériste du groupe de Southern Rock, clin d'œil ou non, à vous de voir :
Forrest et Jenny se retrouvent et vivent un semblant de vie normale sur Sweet Home Alabama de Lynyrd Skynyrd, mais quand les choses se concrétisent avec Forrest, Jenny prend peur et décide de s'enfuir. Sentant la maison (et son petit cœur) vide, Forrest part donc pour un marathon sans fin, les fameuses scènes carte postale que souhaitait Zemeckis pour son film avec des paysages typiques des États-Unis. S'enchainent en quelques minutes les Doobie Brothers avec Running on Empty, Go your Own Way de Fleetwood Mac, et On the Road Again de Willie Nelson, autant dire tout le champ lexical lié à la course. Et comme à chaque fois où une scène a failli sauter du scénario pour économiser de l'argent à la production, c'est Robert Zemeckis et Tom Hanks qui ont mis la main à la poche et ont tourné ces scènes en secret avec l'équipe de tournage.
À sa sortie, certaines critiques reprochaient à ce film d'être une ode au conservatisme de l'Amérique de l'oncle Sam, mais ce serait avoir une vision plutôt réductrice du film. Si Forrest peut parfois représenter le traditionalisme des États-Unis, Jenny, elle, représente la jeunesse et la contre culture du pays, Zemeckis en joue d'ailleurs avec la scène du Lincoln Memorial quand les deux amis se prennent dans les bras, comme une réconciliation des deux Amériques meurtries par des années de guerre. Mais Forrest peut aussi représenter des valeurs plus progressistes comme son incapacité à comprendre la ségrégation raciale lorsqu'il tend le livre à la jeune fille lors de la scène avec le Gouverneur Wallace.
Évidemment, il était impossible d'évoquer tous les tubes que contient ce film, la bande son avait d'ailleurs aussi fait l'objet de nombreuses critiques lui reprochant d'être juste un fourre tout de titres mythiques, mais peu importe, elle reste sublime et fait partie objectivement des meilleures bandes sons jamais réalisés.