Le premier concert de David Bowie en France, j'y étais ...
On était dans les années Giscard, le rock en France, c'était surtout Johnny et Eddy et quelques concerts pour initiés dans de toutes petites salles. C'est dans ce contexte qu'eut lieu le premier concert de David Bowie en France en 1976 Porte de Pantin au Pavillon de Paris. Et oui, à l'époque, il n'existait pas de salle à Paris pour les grands concerts de rock. La Porte de Pantin fallait le vouloir. Mais voir le Thin White Duke en chair et en os, ça valait bien ce petit effort. Bowie venait de sortir l'album devenu depuis mythique : Station to Station, la tournée connue sous le nom d'Isolar Tour avait commencé le 2 février à Vancouver et se terminait le 18 mai 1976 à Paris. En réalité, il y aura 3 dates en France, les 17,18 et 19 mai 1976.
C'était la première fois que David Bowie se produisait officiellement en France. Jusqu'au dernier moment, les fans restaient inquiets, Bowie venait de se faire arrêter aux US en possession de drogue et on se demandait si la tournée ne s'arrêterait pas là. Les quelques photos que les fans français avaient pu voir des derniers concerts dans la presse spécialisée montraient une ambiance assez surprenante pour l'époque. Des lumières blafardes, un Bowie squelettique entouré de Carlos Alomar et Stacey Heydon, à la guitare, Georges Murray à la basse, Dennis Davis à la batterie, et Tony Kaye aux claviers. Une formation réduite, mais qui restera pour les spécialistes comme une des meilleures qui ait accompagné Bowie. On retrouve sensiblement les mêmes musiciens que sur l'album Station to Station et seul le guitariste Earl Slick ne sera pas de la tournée pour une sombre histoire de contrat, remplacé par Stacey Heydon alors âgé de 22 ans.
Bref, de quoi dérouter les amateurs français de Bowie toujours bloqués sur l'image iconique de Ziggy versus Aladdin Sane comme le prouvent les longues files d'attente devant le Pavillon de Paris, chacun arborant fièrement leurs cheveux rouges, de longs éclairs traversants des visages maquillés. Ziggy n'était pas mort pour tout le monde.
Après de longues heures d'attente, le concert débuta par la projection d'un Chien Andalou de Luis Buñuel et Salvador Dali, un court métrage surréaliste connu pour sa célèbre scène de l'œil coupé par une lame de rasoir. Une démarche artistique assez provocante et innovante à l'époque, pour un public certes conquis d'avance, mais qui voulait surtout sa dose de Ziggy. Ils n'allaient pas être déçus, les Spider from Mars n'assuraient plus le show et Ziggy avait bel et bien troqué ses tenues androgynes et son maquillage. En cette année 76, on découvre le Thin White Duke, un Bowie à la mine émaciée, cheveux blonds courts plaqués en arrière, pantalon et gilet noirs, chemise blanche et paquet de gitane dans la poche.
Sous une lumière blanche, accompagnés des sifflements stridents, les premiers accords de Station to Station démarrent, dans un déluge de Larsen. La batterie de Dennis Davis donne le rythme et annonce l'arrivée du Thin White Duke devant un public scotché. Pour la première fois en France, Bowie était devant nous, nous les chanceux. Envoûtant, charismatique, il enchaine les morceaux, Suffragette City, Five Years, Rebel Rebel, Diamond Dogs, Change, Queen Bich, la reprise de Waiting For The Man, presque l'intégralité de l'album Station to Station avec l'époustouflante version de Stay et le jouissif TVC 15. Bowie est radieux, il se permet même un début de strip-tease, une chorégraphie dont il a le secret, couvrant son visage derrière le papier cristal récupéré d'un bouquet de roses offert par un fan (tout est prévu, mais peu importe ça fonctionne parfaitement), il s'amuse, joue avec la lumière, nous assène une version de Fame inoubliable aux performances vocales à couper le souffle. Le concert se terminera sur Jean Genie devant un public hystérique.
C'est la fin, le pavillon de Paris se vide doucement. C'était également la dernière date de la tournée Isolar Tour, un moment inoubliable pour ceux qui y étaient. Bowie reviendra ensuite régulièrement en France, pour des concerts fameux, mais les privilégiés qui étaient présents ce soir du 18 mai 1976 Porte de Pantin ont senti qu'ils avaient vécu un moment exceptionnel et probablement un des meilleurs concerts de David Bowie.