Chronique d'une obsession pour Birds In Row
Cher(e) lecteur/lectrice de Janis, aujourd’hui je te sors de ta zone de confort, et te parle d’un groupe qui m’obsède. Un groupe dont je ne peux plus me passer. Pour autant de raisons qu’il n’y a d’étoiles dans l’univers. Et quitte à filer la métaphore de l’espace, autant apparenter Birds in row - le groupe en question - à un trou noir plutôt qu’à une petite étoile toute mignonne qui illumine tes nuits.. Parce que birds in row est un objet musical lourd, massif. Si imposant qu’il déforme tout ce qui est autour de lui, absorbe la lumière pour faire jaillir quelque chose d’encore plus éblouissant. C’est dans le noir le plus profond que Birds in Row nous aveugle. Et oui, un trou noir ça détruit tout sur son passage, mais c’est précisément parce que le groupe détruit qu’il construit - #Schumpeter pour les économistes.
Alors plongeons la tête la première dans ce trou noir, dans l’anti-univers de Birds in Row, où la déconstruction est au service de l’art absolu.
Le crépuscule des idoles
On pourrait essayer d’attribuer un genre musical à Birds in Row, et dire que c’est un groupe français (cocorico, un des meilleurs groupe de tous les temps est français !) de post hardcore, mais l’essentiel n’est pas là. Birds in Row (BIR pour les intimes, et le reste de cet article, parce que c’est long à écrire) n’est pas un symptôme d’un courant musical. C’est un symptôme de notre société. Une société (trop?) rapide, complexe, sombre et belle à la fois ; pleine de paradoxe finalement. BIR est un véritable parangon de notre temps. Aussi tranchant et violent que la capitalisme débridé des 40 dernières années. Mais beau comme une déesse omnipotente. Et en parlant du divin, la musique de BIR lui consacre une place centrale. Suivant - volontairement ou pas, j’en sais rien - les pas de F. Nietzsche, BIR marbre allégrement le concept du sacré et lui donne un nouveau sens. Déjà par leur musique divine - mais bon ça c’est très subjectif, et on y reviendra. Mais surtout parce qu’ils transcendent une vision étriquée de ce qui relève du bon dieu. Alors oui, tu me diras, le chant lexical de la religion et du christianisme en particulier est un grand classique de la musique énervée. Mais BIR, construit en détruisant, comme je te le disais tout à l’heure.
Et comment détruire le sacré autrement qu’en lui donnant une valeur incertaine ? Dans triste sire, on trouve un “don’t get me started on sanctuaries, it burns to pronounce their names”, mais on retrouve l’antithèse totale dans 15-38, au travers d’un “i built a sanctuary out of my own faith”. Le sanctuaire où la vérité est - théoriquement - un absolu non négociable devient alors un endroit où la vérité devient un fantasme, aussi intangible que le bon dieu lui-même. Mais ce qui est fascinant ici, c’est la place centrale de l’individu dans la relation au sacré : l’homme est l’artisan de sa propre foi, sacralisant ainsi l’action humaine. Comme un combat perdu d’avance entre le moi et le dieu. L’individu serait-il alors la seule divinité digne ? Et s’il l’est, doit-on s’en moquer autant qu’on se moque des dieux ? C’est ce que semble nous dire BIR en tout cas, “You know i'm not the one encouraging prayers;But please join your hands and make this one the last”.dans we vs us, ou surtout, toujours dans le même titre “Nothing is sacred but the hands that protect” & “My hand in your hand, And the world to grasp, Something made it holy, And in a way we liked that.”. L’être humain est divin, les chansons de BIR en sont les cantiques.
BIR construit autour de l’homme, la femme - de l’être humain en général - et lui redonne la place qu’on semble lui retirer. Et quoi de plus humain qu’une main ? Quel acte serait plus humaniste que de remettre au centre du propos la main ? Objet oublié d’une société qui ne produit plus rien, qui ne serre plus la main, qui ne la tend plus. La main qui tient, qui carresse, qui saisit, qui découvre. Celle qui vous prendra aux tripes aux premières notes de “we count so we don”t have to listen”, premier titre de leur album “We already lost the world”.. Ces premières notes de guitare noyées dans la reverb - comme résonnant dans un espace infini - annoncent la tempête à venir. L’apocalypse si on veut pousser sur le thème du divin. Mais encore une fois, ce qui frappe, c’est la prédominance de l’humain. Pas de tricherie ici. Pas de mascarade ou de travesti. Les voix sont tour à tour organiques, délicates ou déchirantes, parfois légèrement fausses, mais on s’en fout, parce qu’elles sont parfaitement humaines. Embrassant ainsi au passage toutes les imperfections du genre humain. Les guitares sont tranchantes avant de se noyer dans un faux marasme auditif. Les textures se superposent, se mélangent, et incarnent un monde où tout se confond, où quelques éléments dominent un ensemble perçu comme informe. La basse est chaude et offre une fondation magnifique à cet édifice musical viscéral mais vacillant. Quant à la batterie, elle vient incarner l’incertitude du monde, sa volonté fragile de s’imposer et de dicter un rythme fou.
Et alors oui, à l’instinct, vu que ça tabasse un peu, on pourrait se dire que l’humain et sa sacralisation ne sont pas le propos musical. Mais, sortons un peu des préjugés, c’est pas parce que c’est un peu fort et que parfois ça crie un peu que c’est violent et pas humain. Au contraire. BIR nous offre un regard différent sur le monde, et c’est toute la beauté de leur musique. C’est une musique de contrastes. Un clair obscur musical où s’affrontent sans cesse la lumière et les ombres. Et trou noir qu’il est, BIR nous atire inlassablement vers lui. “I guess the shadow is a good place to hide, let’s turn on the lights”.
De l’obscurité jaillit la lumière
La musique de BIR n’est pas une petite balade de santé. Elle est sombre. Dense. Compacte. Elle dépeint un monde terrible de violence, de peine, de souffrance, de solitude. Mais elle offre une force incroyable face à lui. Pas de complaintes gratuites ici. Une vision acerbe, acide même, de notre société, mais pleine d’espoir. C’est en nous ramenant au plus sombre que BIR nous ouvre les yeux sur le beau qui nous entoure. Il suffit d’écouter “We vs us” pour comprendre la souffrance sublimée de BIR. We vs us est une peinture d’un monde d’incertitude et d’apparences. “Nothing seems clear, i can’t sleep”. “This costume will have to look good on me before i die”, comme si on ne pouvait pas être nous-mêmes, obligés d’être quelqu’un d’autre, de jouer un rôle. De mentir pour vivre dans une parodie de société : “i know we’ve promised, i know we’ve lied”. La guitare qui accompagne ces textes est langoureuse et séduisante. Mais comme pour renforcer cette impression de confusion, elle se superpose à elle-même dans la réverbération jusqu’à disparaître - ou presque. La basse prend le devant de la scène avant de disparaître à un moment critique de la chanson. La prise de conscience. La prise de recul. On est laissé seul avec cette guitare entêtante et la voix du chanteur. Un “We can be more” résonne au loin, comme s’il avait pris de la distance par rapport au monde, s’en était extrait, et nous offrait une vision lucide. Et cette vision lucide est pleine d’espoir : “ we can be more”. La voix est aussi déchirante que le message en lui-même. Et dans ce monde où la vérité n’existe plus et où les faux semblants pullulent, BIR nous offre - comme des sauveurs - de la certitude : “i know”. Du réconfort mis en exergue brillamment par une longue et ronde note de basse bien stable qui me fout des frissons dès que j’entends cette chanson. Une sensation de plénitude face à un monde fragmenté. Un sentiment de calme dans un torrent agité.
Et la voix du chanteur me fait hérisser le poil, délivrant avec une franchise désarmante sa vision du monde. C’est ça le clair obscur de Birds In Row. Un concentré de violence et de douceur, de défiance et d’espoir, délivré avec une intensité aussi grave que flamboyante. Mais cet espoir ne dure qu’un temps, et on est vite ramené à la dure réalité, leur sombre réalité. C’est un éternel recommencement. Une boucle infinie. C’est effrayant oui. Mais putain que c’est beau.
I wish i were you
Une chanson de Birds in Row c’est un peu comme le cri de Munch. Ca fout un peu mal à l’aise, ça tape pas là où on aimerait que ça tape. Mais c’est pour ça que ce sont des oeuvres marquantes : elles sortent de ce qu’on connaît, interrogent quelque chose de profond, quelque chose qu’on voudrait jamais vraiment regarder. Elles posent comme pièce centrale l’imperfection qui nous entoure, et en premier lieu la nôtre. Et si Munch a dit au sujet de son cri “je sentais un cri infini qui passait à travers l'univers et qui déchirait la nature”, et bien on pourrait dire la même chose de l’oeuvre de BIR. Un cri infini qui passe à travers l’univers et qui déchire la nature. La nature humaine.
I wish i was someone else. I’m just a stack of photographs. Chez BIR, la vision de soi n’est pas très positive - et c’est un doux euphémisme. C’est peut être pour ça que le groupe est resté (très) discret sur son identité pendant longtemps - sans vouloir faire de la psychanalyse de comptoir. Et même si le constat est difficile, il n’est pas flagellateur chez BIR. Il est froid ; direct.
I lost a bit of fire, i lost a bit of me, i lost a bit of everything, but not everything seems to be missing me.C’est l’interprétation musicale qui donne du sens à ce constat sur le soi. Et sans vouloir me répéter, l’interprétation est absolument folle. A la hauteur de l’oeuvre que nous propose le groupe. D’une intensité émotionnelle rare. D’une franchise à couper le souffle. Tout est fragile mais puissant. Énième paradoxe et contraste que nous offre Birds in row. Et c’est sans doute le plus beau. On sent cette vibration entre le soi et le soi fantasmé. Ce déchirement terrible entre ce qui est et ce que n’est pas.
Ils sont habités par quelque chose. Un quelque chose d’indescriptible - peut-être même ’indicible. Et on retrouve ce quelque chose aussi bien dans leurs enregistrements que dans leurs lives. Le chanteur est plié en deux comme s’il portait le monde entier sur ses épaules. Incapable de se relever sous son propre poids ou le poids des autres ? Les expressions faciales sont intenses - comme leur musique tu l’auras compris. Et je rationalise depuis le début de cet article, mais le fond de la musique de Birds in Row est dans les tripes. Comme le cri de Munch qui dépasse la raison. Cette sensation violente d’inconfort suivi d’un calme absolu. Ce choc terrible qu’on a face à nous même en voyant le monde à travers les yeux des autres. BIR nous livre sans concessions sa vision du monde. Qu’elle soit vraie ou pas c’est pas important. Ce qui est important c’est qu’elle est véritable. C’est la subjectivité la plus totale. L’art absolu.
Birds in Row est un diamant brut qu’on ne veut jamais voir poli. Un objet musical qui est magnifique pour ce qu’il est, et pas pour ce qu’il pourrait être. Il embrasse ses imperfections comme on aimerait tous être capables de le faire.
Tu le sais depuis le début de cet article ; j’adore Birds in Row. Mais je ne dirais pas que c’est un 10/10. Je ne noterai pas ce groupe, ni leurs albums. De leurs propres bouches “we count so we don’t have to listen”. Alors prends ton courage à deux mains - sacrées - et écoute.