Le jour où les Doors ont joué sans Jim Morrison
En 1968, les Doors commencent à vraiment s’affirmer sur la scène musicale. Ils jouent dans des plus grandes salles, notamment au Hollywood Bowl où même Mick Jagger est présent. Cependant, le 15 septembre, en pleine tournée européenne, Jim collapse juste avant de monter sur scène à Amsterdam, laissant le groupe au dépourvu à quelques minutes du show.
Les Doors ou le groupe qui en 4 ans (du vivant de Jim Morrison) a produit 6 putains albums combinant pure rock, poésie, mysticisme. Leur musique à l’univers étrange nous plonge entre conscience endormie et rêve éveillé. Outre le talent incontestable de Manzarek, Densmore et Krieger mêlant jazz, blues, flamenco, ou même funk au rock psychédélique, c’est surtout pour le personnage de Morrison, largement mythifié après sa mort soudaine et mal élucidée en 1971, que la popularité du groupe explose, devenant culte.
Pour comprendre le contexte, revenons d’abord sur le personnage de Morrison. Ça vaut le détour. Jim Morrison était un être très intelligent, doté d’une grande sensibilité, prônant la liberté, la rébellion contre l’autorité, voire le chaos. Il rejette ainsi la morale puritaine, le conformisme de la société et teste ses limites à tout bout de champs. Il est très attiré par le chamanisme et pratique un rituel unique lors de ses concerts. À la limite de la dramaturgie, il dégage une aura mystique mêlant appréhension et stupéfaction. Oui, il faut le dire, Jim est tout sauf quelqu’un de lambda. À 15 ans, c’était le gars qui préférait rester seul dans son coin à dévorer Rimbaud, Nietzsche, Freud ou encore Blake plutôt que de traîner avec les jeunes de son âge.
Jim Morrison vers 1964
Peu avant ses 20 ans, il découvre le LSD, alors légal et en vente libre à Los Angeles. Il y voit une perception infinie de la conscience telle que William Blake décrivait bien avant : « Si les portes de la perception étaient nettoyées, alors chaque chose apparaîtrait à l’homme telle qu’elle est, infinie ». C’est cette phrase qui lui inspirera le nom des Doors. Il est aussi impulsif et adore déstabiliser les gens, tester leurs réactions, les confrontant ainsi au plus profond de leurs êtres. Très charismatique, il manipule les foules adaptant ainsi ses interventions selon les réactions du public, pouvant parfois les calmer ou alors provoquer des émeutes, c’est sa spécialité.
Bon voilà, ça vous donne un aperçu de ce qu’il était… Rédigerons-nous maintenant au 15 septembre 1968. Les Doors sont en pleine tournée européenne avec le Jefferson Airplane et Canned Heat. Après avoir donné de magnifiques et solides concerts en Angleterre ainsi qu’en Allemagne de l’Ouest, le groupe arrive à Amsterdam. Le show étant prévu le soir même, les musiciens décident d’errer dans les rues de la ville. À plusieurs reprises, des fans les reconnaissent et commencent à traîner avec eux, leur offrant toutes sortes de drogues et d’alcools en guise de bienvenue. Tandis que les autres les gardent pour plus tard, Jim les prends immédiatement. Ah oui, ce n’est pas le genre à les mettre de côté ; tu donnes un truc à Morrison, c’est pour maintenant man.
Le soir même, peu avant le concert, Jim est en pleine montée. Normal avec tout ce qu’il a gobé. Entre acides, speed, hash et que sais-je d’autres qui circulaient à l’époque, le cocktail fait plutôt mal. Ainsi, pendant la première partie, jouée par le Jefferson Airplane, lors de la chanson à la basse enveloppante Plastic Fantastic Lover, Jim se met à danser sauvagement sur scène avec le groupe et se marre de rire sous les applaudissements de la foule, visiblement bien allumé également.
Petit bémol, le chanteur s’écroule peu après dans les backstages, juste avant que les Doors montent sur scène. Étant impossible de le réveiller, il est rapidement conduit à l’hôpital. C’est alors que le manager de la tournée des Doors, Vince Treanor, se voit obligé de proposer à l’audience de les rembourser ou alors d’assister au concert mais sans Morrison.
À l’unanimité, la foule veut voir le groupe. Les 3 Doors montent alors sur scène, Ray Manzarek et Robby Krieger assurent les parties vocales. Et ce show sera un putain de succès ! Le lendemain matin, Jim se réveille à l’hôpital et voit dans les journaux le concert élogieux de la veille, auquel il n’a pas participé. Les Doors reprennent donc la route, cette fois au complet, et finissent leur tournée européenne 5 jours plus tard à Stockholm, le 20 septembre, où des concerts mémorables y sont donnés.
Ainsi, l’incident qui s’est produit à Amsterdam aurait pu être un déclic pour que Jim Morrison se reprenne en main. Mais le succès du groupe grandissant, spécialement pour le chanteur, aura raison de lui. Il se noie de plus en plus dans l'alcool, qui deviendra véritablement son plus grand démon duquel il ne se débarrassera jamais. D’ailleurs, une anecdote montre son alcoolisme maladif alors qu’il était à Paris, en exil. En effet, il fuyait le procès qui l'accablait aux États-Unis pour outrages aux bonnes mœurs, obscénité, trouble à l’ordre publique, ivresse... (on peut continuer à énumérer) lors d'un concert à Miami en 1969.
Jim erre à Saint-Germain-Des-Près, spécialement au « Rock n Roll Circus », boite en vogue à l’époque. Après avoir bu jusqu’au black-out, malheureusement son quotidien, des amis l’ont hébergé car il était incapable de rentrer ou même de dire où il habitait. Le lendemain matin, Jim se réveille. Après avoir écouté ce qu’il s’était passé la vieille, il invite tout le monde à prendre le petit déjeuner au café à côté, regrettant d’avoir été le trouble-fête. Très gentleman. Sauf que parfois, ses écarts liés à l'alcool pouvait être violemment sanctionnés, comme la fois où Janis Joplin lui a éclaté une bouteille de whisky sur la tête...
Quant à cette matinée parisienne, alors que tout le monde commande des croissants ou des œufs au bacon, Jim s’envoie une teille de Bourbon. À 11 h du matin. C’était ça Jim, à la fin de sa vie... Bien que ce soit quelqu’un de très talentueux, un poète aux magiques études, il n’a pas pu faire face à la célébrité et a sombré, comme beaucoup d’artistes, dans la drogue et l’alcool. Car rappelons-le, Jim voulait être chanteur non pas pour la gloire ou l’argent, mais pour qu’on l’écoute réciter ses poèmes.