Radiohead, Ok Computer : 9 anecdotes pour un chef-d'œuvre
En juin 1997, Ok Computer sort des mains de Radiohead pour se jeter dans celles de leur public mais surtout dans celles encore septiques des non-initiés au style et la philosophie du groupe. Souvent en haut des listes des meilleurs albums jamais réalisés, le disque fait partie de ce club relativement restreint des œuvres qui ont radicalement changé leurs époques et dans ce cas précis, la musique des années 90. On peut même sans trop de risques dire qu'aux côtés de (What's the Story) Morning Glory? (1995) d’Oasis, OK Computer est le point culminant musical et culturel de la décennie 90. Le meilleur album alternatif ? Peut-être, mais il ne faut quand même pas oublier qu’à cette époque, Radiohead est signé chez le géant du disque EMI, bien loin donc de la philosophie de la scène indé ou alternative. Toute œuvre d’art ou en tout cas son processus créatif a son lot d'anecdotes et aujourd’hui, on va se pencher sur une petite dizaine d'entre elles, qui nous aideront mine de rien à mieux comprendre le contexte et le pourquoi du comment de OK Computer.
1 – Brian Eno donne le coup d'envoie
En 1995, Brian Eno – Producteur de U2, Genesis, Grace Jones ou encore David Bowie et sa trilogie berlinoise – lance un projet : The Help Album. Une compilation qui ne comporte que des morceaux originaux et composés par des artistes anglais ou irlandais. On y retrouve Oasis, The Stones Roses, Portishead, Blur, Massive Attack ou encore ceux qui nous intéressent, Radiohead. Tous les fonds générés par les ventes du disque seront reversés à l'association War Child International, une ONG aidant les enfants et les jeunes victimes des conflits armés. L'idée de l'album est de faire les choses très rapidement, l'enregistrer le lundi, le mixer le mardi et le distribuer le mercredi. Ainsi le lundi 4 septembre 1995, Radiohead enregistre Lucky en 5h, pour le projet de Brian Eno. Le titre sera le plus remarqué du Help Album et donnera à Radiohead le coup d'envoi pour la composition de Ok Computer.
Thom Yorke et Brian Eno en 1996
2 – Les potes au profit des idoles
C'est de notoriété publique depuis longtemps que Thom Yorke, frontman de Radiohead est un grand fan de R.E.M. Ainsi, quand Parlophone cherche à qui confier la production du prochain opus du groupe, ils sont ravis quand Scott Litt – producteur de R.E.M – accepte de travailler sur Ok Computer. Radiohead est mis au courant, Thom Yorke et sa bande sont flattés et prêts à accepter mais après de grandes réflexions et de longues discussions, ils préfèrent continuer de travailler avec leur ami et producteur depuis le début, Nigel Godrich. Ce dernier a produit tous les albums de Radiohead, de Pablo Honey (1993) à A moon Shaped Pool (2016) et est depuis 2009 claviériste et guitariste dans le side-project de Thom York Atoms for Peace fondé avec Flea le bassiste des Red Hot.
Thom Yorke, Jonny Greenwood et ce qui ressemble au fantôme de son frère Colin en studio avec Nigel Godrich
3 – Pisser dans les coin d'un hangar au fin fond de l'Oxfordshire
Le groupe a maintenant besoin d'un endroit pour réaliser cet album. Ils cherchent un lieu tranquille au milieu de la campagne. Bingo ! A Didcot dans l'Oxfordshire, ils trouvent un grand hangar désaffecté dans lequel ils installent donc, dès la fin de l’épuisante tournée de The Bends, leur "studio portatif" à l'image de celui des Stones, le Canned Applause Studio. - Une courte parenthèse sur Didicot, en plus d’être la troisième ville la plus polluée du Royaume-Uni elle également décrite par les géographes comme une ville “normale” : Bonne Ambiance - Mais très vite, les problèmes arrivent. Premièrement, le lieu est relativement insalubre, au vu de l'absence de sanitaires, ils sont obligés d'uriner dans les coins du hangar, là même où ils jouent et enregistrent et en plus, il n'y a pas d'eau courante. Pour couronner le tout, les habitations des musiciens sont situées juste à côté du hangar et ils n'attendent donc qu'une chose pendant les sessions de travail, rentrer chez eux. L'ambiance est pesante et pas vraiment propice à l'avancée du disque. Radiohead enregistrera tout de même un tiers de l'album là bas (Electioneering, Subterranean Homesick Alien, No Surprises et The Tourist) avant de quitter Didcot et de chercher un nouvel endroit pour achever la réalisation de Ok Computer.
Radiohead à Didcot en 1996
4 – Roméo & Juliette & Radiohead
A la sortie du Canned Applause Studio, l’ambiance au sein du groupe est assez compliquée. Parlophone leur propose donc de faire une pause dans le travail sur OK Computer et de faire quelques dates en ouverture d’Alanis Morissette. Radiohead accepte et part donc mi-1996 sur une tournée de 13 jours avec la chanteuse. Un soir dans les loges, ils rencontrent le réalisateur Baz Luhrmann. Ce dernier leur propose de composer un morceau pour la BO de son prochain film : Roméo + Juliette. Pour les convaincre, Luhrmann montre aux musiciens un extrait. Précisément la scène où Claire Danes tient le Colt.45 contre sa tempe. Thom Yorke dira plus tard qu’après le visionnage de l’extrait ils s’étaient directement mis à composer et qu’en peu de temps le morceau Exit music (for a film) - le titre apparaît au générique de fin, Radiohead l’a donc tout naturellement appelé “Musique de sortie (pour un film)” - avait vu le jour. Yorke avait d'abord essayé de réinterpréter du Shakespeare mais sans grand succès selon lui. La composition de ce morceau relance la créativité du groupe qui a grâce à lui trouvé la direction qu’il veut prendre pour la suite de OK Computer. Durant ces quelques dates ils composeront également une maquette qui deviendra ensuite Paranoïd Androïd, maquette qui durait à sa genèse près d’un quart d’heure et qui comportait de long solos psychés d’orgues Hammond.
Fin du film Romeo + Juliet de Baz Luhrmann (1996)
5 – Docteur Quinn, femme médecin.
Après cette courte pause et grâce à Luhrmann, Radiohead à retrouvé l’inspiration, l’envie de créer, et repart donc sur les chemins des studios. Le groupe à toujours ce besoin de s’isoler de la ville mais cherche désormais quelque chose de plus confortable que le hangar de Didcot. Ils ne font pas les choses à moitié et s’installent en septembre 96 à St Catherine's Court, un manoir médiéval situé à Bath dans le comté du Somerset. Propriété de Jane Seymour, l’endroit est libre car depuis 93 Jane joue au docteur à Los Angeles et ne revient que très rarement en Angleterre. Très peu de personnes sont présentes à St Catherine. Il y a évidemment les musiciens, Nigel Godrich, un ingénieur du son, un cuisinier et Mango le chat de l’actrice, le petit comité renforçant le sentiment d’isolement que recherche le groupe en s’installant à Bath. Ils profiteront de la taille du lieu pour enregistrer beaucoup de choses dans beaucoup d’endroits différents. Ils installent leur QG dans la bibliothèque mais font des prises de batteries dans la salle de bal, des guitares dans les chambres et également des voix - notamment celles de Paranoïd Androïd - dans l’orangerie en verre située dans le jardin. Les musiciens veulent enregistrer le plus de choses possible en live et tout celà se passe dans la grande bibliothèque du manoir.
St Catherine’s Court
6 – "la grande question sur la vie, l'univers et le reste"
Le nom de l’album OK Computer a été noté sur un bout de papier dans le tourbus du groupe pendant la tournée de The Bends. Pour occuper les longues heures de routes, Radiohead écoute un feuilleton radiophonique imaginé par l’écrivain britannique Douglas Adams, Le guide du voyageur intergalactique (1978). Dans un des épisodes de cette série, le président du gouvernement galactique impérial déclare “Ok computer” en reprenant le contrôle manuel de son vaisseau. Thom Yorke note ces mots sur un coin de feuille et les ressortira au moment de trouver un nom pour l’album. La phrase “Ok computer” contrairement à ce qu’on peut percevoir n’est donc pas du tout un signe de soumission mais bien une prise de pouvoir sur la machine. Une autre chose dans l'album est directement inspirée de l'œuvre de Adams. Le titre Paranoïd Androïd fait référence au robot androïd dépressif et paranoïaque Marvin, “37 fois plus agés que l’univers et 30 milliards de fois plus intelligent qu'un matelas parlant de la planète Sqornshellous Zeta” précisant qu'un matelas de cette planète est aussi intelligent qu'un Terrien très moyen.
Si quand je vous demande la réponse de la vie vous me dîtes “42” c’est que vous n’êtes pas totalement étranger à l’oeuvre de Douglas Adams car c’est dans Le guide du voyageur intergalactique que Deep Thought - un ordinateur surpuissant - calcule la réponse durant 7,5 millions d'années. Il n’est cependant pas assez puissant pour se souvenir à quelle question précisément la réponse 42 appartient-elle. - Posez cette question existentielle à Google, je vous laisse deviner la réponse -
Marvin (le “Paranoïd Androïd”) extrait du film de 2005
7 – 18576397
Un aspect important et pourtant trop souvent délaissé de OK Computer reste sa pochette. Comme toutes les covers de The Bends à A Moon Shaped Pool, celle de Ok Computer a été réalisée par Stanley Donwood et Thom Yorke. Plusieurs petites choses se cachent sur ce collage si riche et complexe. Dans les crédits on peut lire “Paroles utilisées avec aimable autorisation, même si nous les avons écrites” crédit évidemment ironique. Egalement au milieu à droite, avant la croix noir sur fond bleu il y avait une famille que Yorke à décidé “d’annuler”, de cacher ou de supprimer au dernier moment. Puis enfin sous la tracklist au dos de l’album on trouve le code 18576397 signifiant que le mixage de l'album s’est terminé à 18h57 le 6 mars 97.
8 – Un apport à la culture mondiale
La bibliothèque du congrès de Washington organise tous les ans des sélections pour faire rentrer dans leur panthéon des œuvres de tout bord qu’ils jugent nécessaire et indispensable de conserver. En 1998, OK Computer est sélectionné pour être préservé dans leur collection pour “son apport à la culture mondiale”. Les responsables des sélections décrivent l’album comme “une mise en garde pour l’ère numérique”. OK Computer reste une, si ce n’est l'œuvre musicale la plus importante des années 90.
La librairie du congrès de Washington
9 – Un “Suicide Commercial”
Après le succès de The Bends, Parlophone aimerait que Radiohead fasse un “The Bends Pt2”. Le groupe décide donc évidemment d’aller totalement à l’opposé des attentes du label et de créer quelque chose de totalement nouveau et inattendu. Quand Parlophone entend le premier rendu de l’album il le qualifie de “Suicide Commercial”, particulièrement la chanson Paranoïd Androïd que le groupe veut sortir comme single. Le morceau fait 6.23” et à l’image de Bohemian Rhapsody (1975) ou Happiness Is a Warm Gun (1968) à leurs époques, Parlophone pense qu’un morceau si long ne peut pas fonctionner en tant que single. Ok Computer se vendra à 2 millions d'exemplaires dans les 6 mois suivant sa sortie et atteint aujourd’hui les 8 millions de disques vendus.
Radiohead chez EMI en 1998 avec le double disque d’or de Ok Computer et le disque d’or de leur premier album Pablo Honey (1993)