L’histoire du Human Beatbox : de l’homo sapiens à l’homo sonorus
Le postérieur enfoncé dans le canapé, vêtu de mon meilleur pyjama et dégustant une savoureuse glace à l’eau, je regarde à la télévision les castings de la Nouvelle Star. On est en 2007, la vie est belle, et entre deux personnes persuadées de savoir chanter alors qu’elles ont la voix d’Arnaud Montebourg, vient cet ovni surnommé Pulpo qui me fait découvrir le Human Beatbox. J’étais fasciné. Ce mec arrivait à reproduire des chansons entières simplement avec sa bouche, sans instrument, sans rien. Alors, du haut de mes neuf ans (et pas toutes mes dents), je me suis mis en tête d’apprendre à faire de même, et quatorze ans plus tard, je n’ai toujours pas tourné la page. Je vous propose donc de vous faire découvrir cette étrange passion en revenant sur l’histoire de cette fantastique discipline.
Le Human Beatbox, littéralement boîte à rythme humaine, est l’art de reproduire des sons de batterie avec la bouche. On peut même élargir cette définition à la reproduction de sons d’instruments de musique (traditionnels ou électroniques).
On ne sait pas vraiment quand cette discipline est née (ça commence bien), mais on trouve des premières traces de percussions vocales en Inde il y a 600 ans dans des rites traditionnels, avec certaines techniques comme le Konnakol. On trouve également des traces de beatbox en Chine avec le Kouji, un art consistant à imiter avec la bouche des bruits du quotidien, ou encore aux États-Unis au XIXᵉ siècle avec la technique du eefing. On peut aussi parler de techniques de jazz comme le scat, ou encore du Katajiaq des Inuits, du Kecak de Bali, du Boulagel guadeloupéen, du Mbube sud-africain… Bref, les percussions vocales, c’est pas nouveau.
Toutefois, même si le beatbox tel qu’on le connaît aujourd’hui est relativement similaire à ces techniques, ce n’est pas exactement la même chose. Pour trouver la véritable origine du beatbox moderne, retournons dans les années 70, dans le Bronx à New York.
À l’époque, le Bronx, ce n’était pas the place to be. Un endroit austère, rude, où il est difficile de s’imaginer que quoique ce soit puisse survivre. Pourtant, c’est entre autres là que le mouvement artistique, culturel et social du Hip-Hop est né. Une rose au milieu du désert. Le beatbox est l’une des cinq disciplines traditionnelles du Hip-Hop, avec le rap, le breakdance (ou b-boying), le graffiti artistique et le turntablism (ou DJing).
Ce qui est passionnant est que le beatbox est complètement caractéristique de la nature du Hip-Hop. À la base, le terme « beatbox » s’écrivait « beat box » et était une expression d’argot désignant les boîtes à rythme non programmables. La première fois qu’on utilisa le terme « beat box » pour désigner officiellement une de ces machines fut pour la ELI CompuRhythm CR-7030 Beat Box dans les années 70.
Ces petites merveilles de technologie faisaient partie intégrante de la composition musicale moderne de l’époque, mais malheureusement, elles coûtaient très cher. Alors autant vous dire que pour les habitants du Bronx, ce n’était même pas la peine d’y penser.
Et c’est comme ça que le beatbox est né. Il est né de la pauvreté. C’est précisément parce qu’ils n’avaient rien que les habitants du Bronx ont inventé le beatbox moderne. Et à l’image du rap et des autres disciplines du Hip-Hop, l’Histoire a prouvé que c’était une magnifique invention.
Parce qu’aujourd’hui, le beatbox est devenu bien plus qu’un truc de niche que personne ne comprend vraiment et qui sert juste à aider les rappeurs qui n’ont pas assez d’argent pour se payer des instrus. Dès les années 80, des beatboxers connaissent la célébrité. À commencer par Doug E. Fresh, pionnier du milieu. Tous les beatboxers modernes se tiennent sur ses épaules, c’est lui qui a fait découvrir au monde entier ce qu’était le beatbox, et il a même inventé un son : le « click roll » (l’espèce de cliquetis qu’on peut entendre dans la vidéo juste en dessous).
Puis autour de 1985 il y a eu Biz Markie, qui a introduit le chant dans le beatbox. Une légende encore une fois qui fut le premier à réussir à rapper, chanter et beatboxer simultanément. Mais malheureusement, dans les années 90, la pratique du beatbox s’essouffle un peu. C’était devenu un talent presque « normal » et les beatboxers avaient du mal à faire valoir leur Art. Enfin, ça c’est ce qu’on croyait.
En fait, à la fin des années 80 et au début des années 90, le beatbox s’est développé en underground à travers la culture des battles. En gros, c’est comme la scène finale de 8 Mile mais avec du beatbox à la place du rap. Un milieu sans pitié, inscrit dans l’ADN de la culture Hip-Hop, dans lequel les beatboxers essayaient de se faire connaître en montrant que leur technique était meilleure que celle de leur adversaire.
Deux noms émergent alors : Rahzel et Kenny Muhammad. Rahzel est certainement le plus connu, mais pour moi, Kenny Muhammad est clairement le meilleur. Il est le premier beatboxer technique. Pour faire simple, ses rythmes sont au beatbox ce que les Quatre Saisons de Vivaldi sont au violon – plutôt complexes. Il est l’auteur de la wind technique, un immense classique, et il est le précurseur de la New School, un beatbox plus moderne qui se suffit à lui-même et qui ne sert plus seulement à accompagner les rappeurs.
Trente ans après, cette tradition des battles existe encore et fait partie intégrante de la culture beatbox. Simplement, aujourd’hui elles ne se tiennent plus dans les sous-sols poussiéreux du Bronx new-yorkais, mais dans les plus grandes salles du globe. On a des compétitions internationales (deux Français champions du monde, cocorico !) où deux beatboxers qui ne parlent pas la même langue arrivent quand même à communiquer grâce au son et à la musique. Des évènements hyper médiatisés (pour qui s’y intéresse) et retransmis en live dans le monde entier.
On trouve aussi des disciplines annexes, comme l’utilisation de loopstations, des machines permettant de créer des boucles en live et de construire ainsi des morceaux entiers sans aucun instrument. Bref, comme le rap, le beatbox s’est détaché du monde de la rue et est devenu une discipline à part entière, un véritable Art qui rassemble.
Le beatbox s’est largement démocratisé depuis les années 70. Aujourd’hui on a des beatboxers qui font la Nouvelle Star, qui gagnent des jeux télévisés. On a même un groupe de beatboxers français, Berywam, qui est connu dans le monde entier.
Du haut de mes neuf ans, je suis tombé amoureux de ce monde. C’est d’abord son côté fédérateur qui me fascine : le beatbox permet à un Coréen et à un Bulgare de monter sur une scène allemande, de s’engager dans une joute sonore et d’arriver à se comprendre par la simple force de la musique.
Mais surtout, c’est pour moi bien plus qu’une façon originale de créer du son. L’histoire du beatbox est la preuve irréfutable que l’Art trouvera toujours un moyen d’exister. Même là où il n’y a rien, la musique est, et sera. Plutôt réconfortant, non ?