Bob Marley : Un est tout et tout est un !
Je n’aime pas le reggae, je n’en saisi pas son rythme saccadé et son mysticisme. Cette musique est de loin celle dont je ne pense pas grand-chose, et que je passe lorsque je traine chez mon disquaire. Et puis j’ai écouté Redemption song, alors je n’ai plus été le même. Aujourd’hui, je veux vous parler d’un homme dont les dreadlocks ont vaincu la mort. Aujourd’hui, je veux vous parler du jour où Bob Marley m’a fait aimer le reggae.
Le langage du cœur :
Au premier jour, il n’y avait rien. Il y avait le temps, le ciel, la terre, l’Homme et rien. Il y avait la musique et rien. Il y avait les guerres, les victoires, les maux, les remèdes et rien. Il y avait l’amour, la haine et rien. Il y avait l’histoire, les leçons, le recommencement et rien.
Au deuxième jour, il y eu Bob Marley. Il y eu le ciel, la terre, l’Homme et tout. Il y eu la musique et tout. Il y les guerres, les victoires, les maux, les remèdes, l’amour, la haine, l’histoire, les leçons et tout. Il y eu la rédemption et tout !
On considère le jamaïcain, à juste titre, comme le plus grand rastafari et comme celui qui a donné les lettres d’or au reggae. Mais c’est surtout celui qui, en une chanson, nous a montré que ce mouvement de la main qu’il créera n’est pas une simple musique. Redemption song est, selon moi, sa plus grande contribution à l’art comme à l’Humanité. C’est une véritable ode philosophique profondément humaine. Ce titre n’est pas du reggae, c’est de la folk, à mi-chemin entre Bob Dylan et Ben Harper. Il a écrit cette chanson sur l’album Uprising en 1980. Cette même année, les médecins diagnostiquent un cancer généralisé au chanteur. À l’âge de 33 ans, le destin considère que Robert Nesta Marley aura apporté ce qu’il avait à offrir au monde.
L’ultime proposition du « white boy » a le souffle coupé. Il a l’allure d’un homme en train de partir qui délivre ses derniers mots. Au départ, la chanson était enregistrée dans le style habituel de Bob Marley. Mais non convaincue de ce choix, il décide de la réenregistrer avec sa guitare uniquement. Ses mains ne font pas que jouer, elles s’embrasent dans un ultime feu ardant qui vous brûle d’humanité. Avec Redemption song, Tuff Gong n’accueille pas uniquement la mort comme une amie ; il vous laisse un héritage d’une valeur inestimable. En écoutant ce titre pour préparer ma critique, c’est le langage du cœur que j’ai découvert.
L’Âme du monde :
Bob Marley le chante : « nous avons une vie à vivre ». 40 ans après sa disparition, le philosophe aux dreadlocks est toujours associé à la promotion de l’amour et la paix. Mais si son message était tout autre ? En effet, voilà une phrase sur laquelle il est intéressant de s’attarder : « nous avons notre propre esprit ».
Le « locks » a certes promu un mouvement de réunification du monde ; mais son message n’est pas si simple. Il met en avant une pensée complexe qui édite que nous avons en nous la symbiose de deux esprits : le sien et celui du monde. Il utilise toujours le « nous » lorsqu’il l’appose à l’être humain. Comme s’il voulait qu’on se rappelle que la vie se trouve dans les mains qui se joignent. Nous sommes des hommes parce que nous avons des mains pour aimer, rire, embraser, pleurer, jouer de la musique.
Ça n’est pas l’âme du monde que le rasta veut rassembler, ce sont les mains de ceux qui la composent : nous ! Il écrit que « (nos) mains ont été faite solides ». Le reste de votre vie se situe dans les doigts de l’autre. Alors même si on ne s’entend pas avec chacun, il n’en reste pas moins que ce voisin mérite qu’on lui laisse la possibilité d’exister. Parce qu’ensemble
nous formons un tout, indissociable, qui donne sens à notre vie personnelle et collective.
Évidemment, l’héritage de Bob Marley est bien plus important. Ses sons prônent la paix, l’amour, le rassemblement du monde, une façon de gouverner la société et nos vies. Cependant, je crois que la vie de ce métis a été sacraliser au point qu’on ne voit le voit plus comme ce qu’il semble avoir été réellement : un homme qui voulait aider ceux qui doivent se battre pour tout juste survivre (tout comme lui a dû le faire).
Si les chansons du jamaïcain paraissent tant nous comprendre, c’est parce que c’est le cas. Le compositeur a eu une vie extrêmement dure. Et c’est de cette difficulté que vient sa capacité à nous parler avec sa musique. Le rasta n’a jamais rien fait d’autre que de chanter ce qu’il voyait dans nos quotidiens. Il n’est ni une réincarnation évangélique, ni un cavalier de l’apocalypse.
Par sa musique, Bob Marley est un homme qui a tenté de faire passer le message suivant : « un est tout et tout est un ». Il ne fantasme pas plus l’amour que la paix entre tous. Sa clairvoyance de l’être humain le place dans le concret. Il a conscience qu’on ne peut tous s’entendre parfaitement ; car cette capacité signifierait la fin de notre espèce. C’est pourquoi son héritage est beaucoup plus simple. Il nous invite à comprendre que la machinerie énorme du monde ne peut fonctionner que tous ensemble. Aussi est-il préférable de s’entraider pour faire tourner notre société et tenter de vivre !
Sur cette vidéo unique, on peut voir le Premier ministre Michael Manley et son ennemi au pouvoir Edward Seaga réuni par Bob Marley sur scène pour se serrer les mains sous la bannière rastafari.
J’ai dit dès le départ que je n’aimais pas le reggae, aussi j’aimerai revenir sur ce propos. La vérité, c’est que ce style m’avait échappé jusqu’à maintenant. Avec le dernier album du lion de Jamaïque, vous serez, comme moi, heurté de plein fouet par une onde inexplicable. Ce vent qui continue de guider les générations après 40 ans. Si Bob Marley a vaincu la mort avec sa musique, ça n’est pas parce que les gens aiment le reggae ; c’est parce que je me suis, et nous nous sommes, reconnus en l’être humain qu’il était. Robert Nesta Marley fut un Homme que j’aimerai aujourd’hui rencontrer pour le remercier d’avoir été l’incarnation de ce que le monde devrait être : deux mains qui se joignent pour n’être qu’un tout.