Chet Baker : la musique n’est pas un art !
Il y a des instants qui transcende l’art. Comme une note suspendue dans le temps et l’espace. Un son comme un écho nostalgique se mêlant aux voix des êtres disparus. Et dont les couleurs teintes encore vos tympans avec amour. La musique n’est pas un art, c’est de la vie. Parfois elle se colore de bleu ou de rouge. En voilà toute la beauté et l’intérêt. Je me souviens d’un album comme je me remémore un voyage d’été avec mon père adolescent. Cet album, c'est le vôtre, le nôtre, celui du monde : Chet de Chet Baker.
Kikujiro
J’ai fait découvrir Chet Baker à mon père un été qu’on partait en vacances. Très peu enclin au jazz, je voulais qu’il puisse écouter au moins cet album de cet être si spécial. Et quel bonheur ! Vous avez, comme moi, en mémoire ce genre d’instant accroché et immuable autour de la musique. À l’instar de l’album que vous écoutiez alors durant ce moment, Chet possède une force vitale exceptionnelle. Comme un défibrillateur, cet opus vous réactive le cœur en un instant. Car le trompettiste insuffle ses sentiments dans ses notes. Il exprime ses histoires, ses rencontres, ses malheurs et ses bonheurs.
Il ose montrer ce qui le compose pour s’ouvrir à chacun qui prendra le temps de l’entendre. Le jazzman dialogue avec nous pour se raconter nos plus belles photos de vie. Ensemble, on se laisse guider au gré du vent et des battements feutrés pour redécouvrir des temps oubliés à nos cœurs. Comme Kikujiro cet été-là, une part de moi est toujours restée à ces vacances avec mon père lorsque j’écoute cet album. Et chaque fois qu’une envie vous prendra de voyager, Chet Baker vous conduira toujours à vos plus heureux souvenirs.
Horikoshi
Que ce soit sur la dizaine de titres de l’opus, ou sur l’ensemble de sa discographie, on trouve chez l’artiste une démarche constante : son intention de rester lui-même. L’instrumentiste de talent est habité par sa musique, par son amour du jazz par sa passion pour l’exploration de l’humain. Il cherche ce qui l’identifie et ce qui compose l’autre en permanence. Loin des soucis de la foule, il respire pourtant à travers elle. Chet Baker fut un être brillant car il a su rester fidèle à son instinct. Comme Paul Valery l’écrit dans un poème : « le vent se lève… il faut tenter de vivre ». Voilà bien le fondement de toute la musique de « cool jazz » que le compositeur propose !
Ce principe dogmatique, le jazzman s’appliquera à le transmettre toute sa vie. À plein poumons, il joue pour tenter de faire vivre la société. L’Homme se dévoile dans ses forces, ses sentiments, ses rêves. Il noue les liens entre chacun de nous avec une musique calme et puissante. Il unifie les cœurs et l’âme du monde. Il a réuni mon père et moi au-delà du temps et de l’espace.
Chet est un album extra-ordinaire artistiquement, c’est une évidence. Mais ce qui le rend véritablement hors normes, c’est la beauté qu’il a d’autoriser tout à chacun de rêver. Le positivisme palpable de sa musique réconforte parce qu’il montre que l’impossible existe. Lorsque j’écoute Chet Baker, j’entends les larmes de mon père heureux de me voir épanouie. Les êtres aimés ne disparaissent pas dans la musique du trompettiste. Son jazz transcende l’art pour atteindre l’essentiel de ce pourquoi nous tous aimons tant la musique : vivre.
L’être humain est un animal naturellement curieux. Toujours en quête de bonheur, il chemine toute sa vie pour ces clichés si précieux. Et c’est bel et bien la musique qui nous guide à travers nos pas. Par ses compositions, le musicien saisi le temps de ses mains et nous enlace dans notre quête du bonheur… Mais pas seulement. Avec plus de 200 productions, l’artiste n’a de cesse de contribuer à nous faire vivre de tous plutôt que le sien. Aujourd’hui, tout comme un souvenir d’été, Chet Baker continue de vivre à travers notre mémoire collective. Et au-delà du temps, tant que le vent de cette icône du jazz souffle, l’humanité continuera de vivre.