Under Pressure : quand des génies se rencontrent
Tout est parti d’un hasard. Cinq musiciens talentueux, un riff de basse, des paroles écrites sur un coin de table. Quelque temps plus tard naissait l’un des morceaux les plus mythiques du rock. Retour sur l’élaboration houleuse d’Under Pressure.
Montreux, juillet 1981. Le hasard veut que les membres de Queen s’y reposent après leur tournée sud américaine en même temps que David Bowie. Ce dernier prend une pause après la sortie de Scary Monsters (and Super Creeps) quelques mois plus tôt.
David Richard, ingénieur du son sur l’album Heroes, lui propose alors de rencontrer la bande de Freddie Mercury. Bowie, curieux, accepte. Bien du temps a passé depuis que les deux hommes ont fait connaissance sur le marché de Kensington dont ils étaient des habitués. En ce début des années 1980, cela fait près de dix ans qu’ils sont devenus des stars internationales. Bowie a donné un coup de jeune au rock en développant considérablement le glam rock. Queen, quant à eux, représentent depuis une décennie le groupe de rock le plus célèbre du Royaume-Uni.
Ce n’est donc pas étonnant si la rencontre est placée sous le signe de la musique : le groupe et le chanteur font un bœuf, puis Bowie enregistre les chœurs pour la chanson Cool Cat.
Dans un coin de pièce, John Deacon joue un riff de basse, court mais entêtant. Autour de lui, les musiciens commencent à mêler leur grain de sel, avec des claquements de doigts dans un premier temps. La légende raconte qu’après leur pause déjeuner, Deacon avait totalement oublié les précieux accords qu’il avait joués quelques heures auparavant, et c’est Brian May qui les retrouva à tâtons en jouant sur sa guitare. Bowie se met même à écrire quelques paroles pour un hypothétique morceau sans refrain nommé People on Streets.
Le projet prend pourtant de plus en plus d’ampleur, aussi Bowie retravaille les paroles et la chanson devient Under Pressure. Il décrira cette expérience d’écriture comme « spontané[e] » et même un peu « étrange ». Les premiers enregistrements débutent, et il en restera sur la version finale les tâtonnements sous forme d’onomatopées de Freddie Mercury dans l’intro de la chanson.
Néanmoins, les négociations entre Queen et Bowie sont loin d’être conciliantes. Chacun a son avis et compte bien le défendre. Mercury et les autres membres du groupe n’ont jamais travaillé avec un autre artiste et David Bowie a une vision très précise de ce qu’il veut. Ajoutez à cela de belles paires d’égos pour donner une des sessions d’enregistrement les plus compliquées de l’histoire du rock. Le guitariste Brian May décrira Bowie comme quelqu’un d’encore plus têtu que tous les quatre Queen réunis. Quant à Roger Taylor, leur batteur, il résumera les sessions d’enregistrements par les mots suivants : « certains egos en ont été un brin froissés. »
La chanson est mixée toujours sous l’égide de Bowie, ce qui déplait à Reinhold Mack, l’ingénieur du son de Queen. Ce dernier a du mal à supporter son autorité et il finira par appeler le pacifique Freddy Mercury à la rescousse.
La version finale d’Under Pressure est enfin prête en octobre 1981. Ni David Bowie, ni Queen n’en est vraiment satisfait. Selon eux, elle est loin de ressembler à une version finalisée et ils hésitent un moment avant de la diffuser. Finalement, elle sort en single le 26 octobre et le succès est quasi immédiat. Elle se hisse en haut du hit-parade britannique pendant plus de deux semaines.
Le succès d’Under Pressure est compréhensible : en plus d’une instrumentale plus qu’efficace, la chanson réunit deux des plus belles et uniques voix masculines de cette fin du XXᵉ siècle. Mais surtout la pièce de résistance, les paroles, touchent particulièrement le public. Under pressure signifie littéralement « sous pression » et la chanson raconte les malheurs que cause cette pression de la société moderne qui « sépare une famille en deux » et « conduit les gens à la rue ». Pour eux, il n’y a que l’amour (pourtant « mot si démodé ») pour lutter contre. En ce début des années 1980, l’Angleterre est touchée par la crise économique et ces mots si justes et remplis d’espoirs touchent le public en plein cœur.
Par la suite, Under Pressure sera jouée pendant des années en concert par Queen. Les deux parties sont alors prises en charge par Mercury. Quant à David Bowie, il l’interprète pour la première fois en live le 20 avril 1992, lors d’un concert en hommage à Freddie Mercury, décédé six mois plus tôt. Son duo avec Annie Lennox rentre à ce moment là dans les annales.
Aujourd’hui, Under Pressure est inévitablement citée parmi les meilleurs morceaux de Queen et de David Bowie. Intemporelles, sa mélodie et ses paroles résonnent au plus profond de chacun d’entre nous.