Brian Jones : la zone d’ombre des Rolling Stones
Leader original des Stones, Brian Jones est souvent mal connu du grand public. Pourtant c’est à lui que le rock doit l’une de ses plus grandes formations musicales. Retour sur la vie courte mais intense du Golden Boy.
La volonté d’une révolution
« Sans Brian Jones, il n’y aurait pas eu les Rolling Stones » a affirmé Bill Wyman, bassiste des Stones, dans un documentaire Arte dédié à son ami il y a peu. Lorsqu’on pense au groupe britannique, c’est d’abord le charismatique Mick Jagger ou l’explosif Keith Richards qui nous viennent à l’esprit. Pourtant, c’est au jeune guitariste blond au regard rêveur que les Stones doivent tout.
Né à Cheltenham dans une famille conservatrice, le jeune Brian sait très vite qu’il ne veut pas de la vie rangée que son père entend lui faire mener. Virtuose de la musique, il commence à jouer du saxophone ou de la guitare au sein de petits groupes dans les pubs de sa ville.
En 1961, il s’installe à Londres. Passionné de jazz et de blues, il veut monter son groupe et jouer de cette musique, pourtant peu commerciale. Qu’importe, il passe une petite annonce dans le magazine Jazz News. Après quelques essais non concluants, Brian finit par jeter son dévolu sur le chanteur du groupe Blues Incoporated, Mick Jagger. Ce dernier lui suggère (ou lui impose ?) son pote Keith à la guitare. Ian Stewart, Dick Taylor et Mick Avory les rejoignent. Après quelques hésitations, Taylor et Avory finiront par quitter le groupe pour être remplacés par Bill Wyman et Charlie Watts. Les choses sérieuses peuvent alors commencer pour le tout jeune groupe, qui se fera désormais connaître sous le nom des Rolling Stones.
Un multi-instrumentaliste de génie
Dans un premier temps, le groupe se contente de jouer des reprises entre les parties de plus gros artistes qu’eux. Ils rencontrent rapidement Andrew Loog Oldham qui flaire leur potentiel, et les exhorte à composer eux même leurs morceaux. Il encourage notamment Jagger et Richards, ce qui fait perdre peu à peu à Brian son statut de leader suprême. Même s’il ne compose ni n’écrit, Jones est tout de même à l’origine de nombreuses idées géniales qui améliorèrent grandement les chansons du groupe.
Sa large connaissance d’instruments, parfois peu conventionnels, fait se démarquer les morceaux des Stones. L’idée d’intégrer le dulcimer dans Lady Jane et I am Waiting est de son fait. De même que le sitar, si reconnaissable dans l’intro de Paint It Black, le marimba, qui donne le son particulier d’Under My Thumb, ou encore le hautbois dans Dandelion. Brian parle peu au sein du groupe, mais lorsqu’il le fait, c’est toujours à bon escient. Il souffle un vent de nouveauté dans le très jeune Swinging London, que les Stones incarnent alors à la perfection.
L’apogée et le déclin
Brian rencontre la magnétique Anita Pallenberg en 1965. La jeune modèle partage avec lui sa culture impressionnante et une véritable alchimie s’opère entre eux. Ensemble, ils forment le couple le mieux assorti et le plus scandaleux de Chelsea. Dans le même temps, le cultissisme Satisfaction sort, et propulse les Stones au statut de plus grand groupe de rock du monde. Brian, à seulement vingt-trois ans, est au sommet de sa vie. Pourtant, avec Anita et le succès, son addiction à la drogue ne fait que s’amplifier. De plus en plus en marge du groupe, Brian disparaît parfois sans prévenir, parait absent lors des séances en studio. Face à son insécurité toujours grandissante, l’alcool et la drogue semblent être son refuge. Mais dans le cercle vicieux des addictions, il s’isole de plus en plus.
Après une affaire polémique de drogues, les Stones décident de s’éloigner quelque temps de Londres. Mick et sa nouvelle petite amie, l’iconique Marianne Faithfull, Anita, Brian et Keith décident de partir ensemble au Maroc. En chemin, Brian tombe malade, et doit être hospitalisé dans le Sud de la France. Sa fiancée et son ami reprennent le chemin ensemble. Et ce qui devait arriver arriva. Anita et Keith commencent une idylle. Brian le découvre en arrivant à Marrakech, et en est très affecté. D’autant plus que du jour au lendemain, les deux couples s’enfuient sans lui laisser un mot. À son retour à Londres, son domicile est perquisitionné et de la drogue y est encore trouvée. Jones est alors dans le collimateur des autorités. La descente aux Enfers est plus qu’amorcée.
La fin d’un rêve
1968 est l’année du dernier album des Stones auquel Brian contribue : Beggars Blanquet. Il est épuisé par les nombreuses drogues qu’il consomme, l’abandon d’Anita Pallenberg et le ressentiment à l’encontre de ses amis. Il sombre un peu plus chaque jour. Cependant, son ultime coup d’éclat est sa partie à la slide guitar dans No Expectations.
À la fin de l’année, les Stones organise un show pour la télévision, The Rock and Roll Circus, qui regroupe beaucoup des grands noms de l’époque : John Lennon, les Who, Eric Clapton... Brian y joue avec le groupe, et cela sera sa dernière prestation publique en leur compagnie. Au milieu de l’année suivante, Keith Richards, Mick Jagger et Charlie Watts vont trouver Brian dans sa propriété de Cotchford Farm où il vit reclus. Ce qu’ils annoncent ne l’étonne qu’à moitié. Sa présence est devenue incommodante, le groupe doit pouvoir tourner aux États-Unis, et c’est impossible sans le visa de Brian, confisqué par les autorités. De plus, ils ont déjà commencé à enregistrer un nouvel album, Let It Bleed, sans lui. Brian, résigné, accepte son sort, celui de se faire exclure de son propre groupe, crée par lui-même six ans plus tôt.
La suite n’est pas surprenante. Le 2 juillet 1969, après avoir noyé son chagrin dans une soirée plus qu’arrosée, Brian décide de se baigner dans sa piscine. Le somnifère qu’il aurait pris avant, et la température de l’eau surchauffée l’auraient fait s’endormir. Il est retrouvé au fond du bassin, « death by misadventure » selon le rapport d’autopsie. Brian vient d’ouvrir la voie au tristement célèbre club des 27.
Le monde est ébranlé par cette nouvelle, particulièrement ses acolytes musiciens. Pete Townshend des Who lui dédie un poème : « A Normal Day for Brian, A Man Who Died Every Day » dans le Times, de même que Jim Morrison, qui ne tardera pas à le rejoindre dans le club des 27. Jimi Hendrix lui dédicacera une chanson à la télévision. Quant aux Stones, ils lui rendront hommage d’une façon poétique, avec un lâcher de papillons blancs lors d’un concert à Hyde Park, où ils joueront I’m Yours and I’m Hers de Johnny Winter, l’une des chansons préférées de Brian.