Histoire de Melody Nelson : l’apogée du génie gainsbourien
Entre musique pop et symphonie classique, Serge Gainsbourg signe en 1971 un monument de la chanson française. Retour sur cet album culte représentatif des 70’s françaises.
La genèse
1970, Serge Gainsbourg est déjà un mythe vivant. Cinq ans plus tôt, il écrit Poupée de cire, poupée de son, chantée par France Gall et qui remporte le Grand Prix de l’Eurovision. Il écrit pour Dalida, Françoise Hardy, Brigitte Bardot... Après les avoir boudés pendant des années, il rentre à son tour chez les yéyés.
Mais Gainsbourg veut autre chose. Pour son prochain album, il aspire à une œuvre ambitieuse, grandiose. Un album-concept. En avril, il part à Londres pour enregistrer les bases rythmiques du futur disque. Pour ce nouveau projet, il décide de se faire accompagner de l’arrangeur Jean-Claude Vannier. Pour Serge, il s’agit du collaborateur idéal. Éclectique comme lui, ils ont les mêmes références musicales.
Après avoir lutté contre le syndrome de la page blanche, Gainsbourg s’attèle à l’écriture des chansons. C’est un véritable récit qu’il construit, celui de la rencontre et de la relation entre un homme mûr et Melody Nelson, jeune anglaise de quatorze automnes et quinze étés, transcription de la Lolita de Nabokov. Jane Birkin, muse et grand amour de l’artiste, prête sa douce voix et son visage à l’héroïne du disque. C’est elle que l’on voit sur la pochette, arborant une perruque rouge et serrant son singe en peluche dans les bras. Détail émouvant : la peluche était là pour cacher le ventre de Jane, alors enceinte de Charlotte Gainsbourg.
Une histoire d’amour à l’issue tragique
L’histoire de Melody Nelson et de l’alter ego de Serge commence lorsque ce dernier percute la jeune fille avec sa Rolls Royce Silver Ghost 1910. S'ensuit un récit où le protagoniste s’éprend de Melody, adorable garçonne qui ignore ce qu’est l’amour. Peu à peu, on se prend à notre tour d’affection pour la jeune fille. La Ballade de Melody Nelson donne à voir sa fragilité mais aussi son énergie juvénile qui devient indispensable à son amant. Se succèdent à l’innocence des moments plus sensuels qui installent une ambigüité du personnage, entre femme et enfant.
Dans L’hôtel particulier, épisode de leurs amours, les cordes s’emballent dans une symphonie voluptueuse. En Melody renoue avec l’aspect enfantin de l’adolescente, où s’ajoutent aux riffs de guitares énergiques des rires féminins. Ces derniers, enregistrés en privé Rue de Verneuil, sont ceux de Jane Birkin alors que Serge la taquinait. La fin de cette chanson refroidit l’atmosphère : sous les sifflements du vent, Gainsbourg déclare une d’une voix grave qui finit en chuchotements douloureux : « Melody voulut revoir le ciel de Sunderland. Elle prit le 707, avion cargo de nuit. Mais le pilote automatique, au commande de l’appareil, fit une erreur fatale à Melody… ».
Le dernier titre, Cargo culte, reprend le thème du premier dans un effet de boucle. Il insuffle une atmosphère dérangeante où Gainsbourg chante d’une voix amère la perte de son amante. Melody nous manque déjà.
La réception
À sa sortie, l’album est unanimement salué par la critique. La presse le décrit comme « le premier vrai poème symphonique de l’âge pop. ». Cependant, le public n’a pas la même réaction enthousiaste. L’album est un échec commercial, avec seulement 22 000 exemplaires vendus. Il faudra attendre douze ans après la sortie de l’album, en 1983, pour que Melody Nelson soit certifié disque d’or. Cet album figure aujourd’hui dans les influences de nombreux artistes, y compris à l’international. Preuve que le maître était trop avant-gardiste pour être compris en son temps.