Comment Baba O’Riley de The Who a marqué la pop culture au fer rouge
Balancée sur les ondes en novembre 1971, Baba O’Riley de The Who a eu l’effet d’un tremblement de terre dont le véritable blast se ressentira des années plus tard. Reprise par les plus grands groupes de l’histoire du rock et intégrée dans de nombreux films cultes, son intro légendaire aura marqué toute une génération dont la descendance a été plus qu’assurée.
C’est d’abord (et surtout) une intro psychédélique au synthétiseur pendant plus de trois minutes et vingt secondes, rythmée par la basse de John Entwistle. Ajoutez à ça la batterie de Keith Moon qui pourrait ressusciter un mort et le tambourin infernal de Townshend... et vous obtenez Baba O’Riley. Un morceau témoin de l’expérimentation à succès des synthétiseurs dans la discographie de The Who. Pourtant, au moment de sa sortie, plusieurs pilastres du rock ont tenté d’appliquer la même recette. Whole Lotta Love de Led Zeppelin a accroché les charts pendant près de deux ans avec un refrain similaire, même destin pour de nombreux titres de Deep Purple ou de Black Sabbath. Mais cinquante ans plus tard, ces titres-là n’ont pas vu leur héritage perpétré dans la pop culture contemporaine. Étrange ? Pas vraiment.
Un “Teenage wasteland” aux couleurs de Woodstock
Abordant le thème d’une jeunesse complètement déboussolée, éperdue par la guerre et les poches trouées, Baba O’Riley ne pourrait nier son inspiration des images marquantes de Woodstock. D’ailleurs, elle en est l’écho assumé puisque deux ans plus tôt, The Who se produit dans le fameux champ de White Lake et assiste à un spectacle ahurissant : “ Là-bas, dans ce champ, j’ai labouré pour gagner mon pain. Rassemblons-nous avant d’être trop vieux. C’est seulement une friche d’adolescents (teenage wasteland), elle est toute gâchée, toute gaspillée”, crache Roger Daltrey dans un refrain teinté d’anarchisme. D’ailleurs, le titre ne sera distribué ni aux États-Unis ni en Grande-Bretagne. De quoi donner envie à toute une génération de s’y identifier. Good job !
“Cette musique est le reflet d’une grosse frustration, du manque de communication que l’on ressent de nos jours”, expliquait PeteTownshend, quelques semaines avant la sortie de Baba O’Riley sur l’album Who’s Next. Alors qu’est-ce qui pouvait empêcher la bande à Daltrey de commencer par du clavier et un tambourin et finir par du violon ? Après trois minutes de cette fameuse boucle “Fa, Do, Si bémol” au synthé, la mélodie bascule dans un solo de violon sorti de nulle part, plongeant le morceau rock dans une atmosphère quasi tzigane. C’était ça les années soixante-dix, oser la rupture dans tous ses états pour éviter la moindre étiquette. Cinquante ans plus tard, le titre n’a pas changé de feuille de route. Bien au contraire.
De Spike Lee à Stranger Things, Baba O’Riley est partout !
Outre la performance de The Who, qui n’a jamais ressenti ce besoin effréné de sauter partout et de tout casser sur Baba O’Riley ? (Pas vous sérieusement ?) C’est donc tout naturellement que la culture populaire des cinquante dernières années a utilisé cette chanson pour illustrer la révolte, le lâcher prise, bref... le pétage de plomb ! Et rien de mieux que de revoir cette scène mythique du film Summer of Sam, réalisé par Spike Lee (1999) pour comprendre de quoi je vous parle. Attention, le look d’Adrien Brody peut piquer les yeux !
Spike Lee n’a pas été le seul à utiliser Baba O’Riley en guise de bande originale. Huit ans après sa sortie, la chanson des Who apparaît dans le film Over the Edge (Violences sur la ville), réalisé par Jonathan Kaplan. Là encore, l’introduction psychédélique fait le job en accompagnant une bande d’adolescents livrés à eux-mêmes qui s’enfoncent peu à peu dans la délinquance, les armes et la drogue dans une petite ville du Colorado.
Trente ans après sa sortie, le titre endiablé des Who est devenu la chanson officielle du générique des Experts : Manhattan diffusé pendant plus de dix ans sur CBS. On peut également l’entendre dans un épisode de Dr House avec un Hugh Laurie complètement transcendé par le synthétiseur dont il simule les notes, yeux fermés, sur son bureau.
Outre les apparitions dans les séries That 70’s show ou Family Guy dans les années 2000, Baba O’Riley ouvre également le bal du film Premium Rush en 2012. Là encore, son utilisation n’est pas anodine. Wilee, coursier dans la ville de New-York, est un électron libre qui refuse d’équiper son vélo de freins quitte à zigzaguer dangereusement entre la flopée de taxis et voitures qu’il croise. Comme à chaque fois, c’est l’introduction de la chanson qui sert le propos en lui donnant une dimension rocambolesque, presque punk, laissant présager (évidemment) un destin dramatique.
Plus récemment, Baba O’ Riley a rebranché les guitares pour le trailer officiel de la saison 3 de Stranger Things diffusé l’année dernière sur Netflix (qui n’est pas sans rappeler l’atmosphère de Violences sur la ville, d’ailleurs !) Quoi de plus logique puisque la série se déroule en 1985 ! Et là encore, le suspens provoqué par la batterie et la basse des Who mélangé à ses trois accords incessants, vous laisse pressentir que la bande d’ados marginale va accomplir son destin en bravant de nombreux interdits.
Cinquante ans après sa sortie et une belle place dans le classement des meilleures chansons britanniques de tous les temps, on ne peut que souhaiter à Baba O’Riley d'hériter du même destin souhaité par l’un de ses pairs, Pete Townshend, de “vieillir sans devenir vieux... ”